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Critiques de livres

André-Marcel ADAMEK
Le roman fauve – Tome II : Les oriflammes du Nord
Bruxelles
Le Grand Miroir
2010
345 p.
20 €

Si Frans Hals écrivait…
par Ghislain Cotton
Le Carnet et les Instants N°165
 
Avec Les oriflammes du Nord, André-Marcel Adamek poursuit la saga picaresque (et en l’occurrence picarde) du « Roman fauve » ouverte par Les rouges portes de Lorraine. On se souviendra que le personnage central Thomas Lescaut, précurseur génial, mais incompris, du fauvisme en plein XVIIe siècle, avait renoncé à la peinture et livré aux flammes son chef-d’œuvre, écœuré par la dictature des artistes en place engoncés dans le carcan des règles et conventions. Fuyant les horreurs de la guerre de Trente Ans, il migre de la Lorraine à Tournai avec sa femme, Manou, ancien modèle du peintre de La Tour, et leur tout jeune fils Pierre. Dans la ville scaldienne, il met sur pied une faïencerie d’art qui devient vite prospère et dont la réputation s’établit jusqu’au delà de la Manche. On retrouve dans son entourage plusieurs personnages hauts en couleur comme le bandit repenti Nicéphore Branlemoine, devenu le plus dévoué des serviteurs, Selim, le valet turc de Georges de La Tour ou l’avocat presque honnête Jean-Paulhain Goffinoles. Rejoints ici par Éloïse, second enfant des Lescaut : une fillette cruelle, dont le sadisme extrême se diluera dans l’amour porté au jeune Lord John (dernier descendant d’un famille royaliste anglaise, qui finira ses jours au bout d’une corde accrochée par les partisans de Cromwell). Métamorphose de la prétendue possédée, à quoi avait échoué l’exorcisme pratiqué par le très particulier chanoine Léonard. Un bougre qui, pourtant, avait fougueusement donné de sa personne pour poursuivre le diable jusque dans les recoins les plus intimes de l’adolescente. C’est cette Eloïse aussi qui – bien plus tard – vivra des moments à tous égards monstrueux. Quant à Pierre, héritier de la passion et du talent pictural de son père, il se trouvera un maître malinois pour perfectionner sa manière. Et pour l’adapter aux critères de la très sourcilleuse guilde d’Anvers afin de s’en faire accepter. Avant de voler ensuite de ses propres ailes et plus tard, vengeance suprême, mettre des cornes au portrait commandé par un vaniteux nobliau. Entretemps, la faïencerie connaîtra bien des revers, méchamment piégée par la magouille des banquiers. Même si elle a pu accroître et maintenir un temps sa prospérité grâce à l’invention dans ses ateliers d’un produit miracle appelé Esprit du blanc. Soit, en anglais, white spirit. Ce ne sont là que quelques traits qui sont loin de déflorer cette saga inventive, elle aussi, truculente, et farcie de péripéties en tous genres. Écrite dans une langue de cette élégante virtuosité propre à l’auteur et qui, en l’espèce, fleure son XVIIe siècle sans tomber toutefois dans les excès assommants du faux pittoresque. Si la cascade d’évènements – sur terre comme sur mer – mène le lecteur de Tournai à Paris, du Kent à Malines ou à Tubize, elle tire toujours profit d’une sensualité heureuse et sans chichis. On boit d’abondance, avec ou sans soif et on copule joyeusement avec la complicité de luronnes riches de désirs, de courbes et de tétons à la flamande qu’elles soumettent d’ailleurs volontiers aux regards et aux pinceaux des artistes. Et plus si affinités… Des « extras » voluptueux qui coulent presque de source, ce qui ne les empêche pas de cultiver vis-à-vis de leurs conjoints ou fiancés le sentiment d’une fidélité sincère. Il n’est peut-être pas innocent à cet égard, que Frans Hals ait été fugitivement mobilisé dans le cours du récit comme une sorte de guest star emblématique. Un artiste qui sut peindre la joie de vivre avec une verve, un réalisme et une couleur qui semblent puisés à la même source que l’encre d’Adamek. On apprécie aussi que l’auteur se soit gardé d’affliger d’angélisme le couple central et très uni de Thomas et de Manou que l’adversité et la tentation de l’herbe tendre pousseront à y tondre chacun la largeur de leur langue. Si l’on pratique un zoom arrière sur l’histoire particulière de cette famille Lescaut, c’est tout un siècle, avec ses troubles, ses guerres, ses usages, ses lois et l’ordinaire de la vie, qu’à l’enseigne des « oriflammes du Nord », une étude minutieuse de l’époque et des lieux fait apparaître en toile de fond. Au fil du récit, sans ostentation et comme naturellement. Cela dit, si Pierre éprouve, selon les derniers mots du livre, « un sentiment d’ardente liberté », serait-ce pour en user à la faveur de nouvelles aventures ?