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Critiques de livres

Alain BERTRAND
Je ne suis pas un cadeau
Bordeaux
Finitude
2010
136 p.
14 €

L’art d’offrir pour les nuls
par Ghislain Cotton
Le Carnet et les Instants N°165
 
La vie ne fait pas de cadeaux ; en revanche, l’homme peut en faire. C’est sa suprématie sur les choses, avec l’ivrognerie, le sourire en coin et la position du missionnaire.
 
Que l’auteur de ce propos vigoureux et éclectique s’appelle Alain Bertrand n’étonnera personne. L’homme est coutumier du genre comme il l’est d’inventaires fantasques qui se réclament, avec raison, de la sagesse particulière de son bon maître Vialatte. Avec les affleurements d’un Montaigne mis en verve par le vin noir ou d’un Ecclésiaste pris de fou rire. Nul comme lui n’envisage les choses de la vie à la façon de petits brûlots qui boutent le feu à un imaginaire débridé, prouvant une fois de plus qu’Allah est grand. Et c’est bien le cas avec ce nouveau livre au titre tout droit sorti du confessionnal, de la pipe de Magritte ou des complots malins de la fausse modestie. Quoiqu’il en soit, si Alain Bertrand « n’est pas un cadeau », ce petit ouvrage, d’ailleurs croisé et noué en couverture par le bolduc traditionnel des offrandes, en est un vrai. Au bénéfice des nuls que nous sommes. Après la courte mise en bouche qui instruit utilement le lecteur sur la physiologie, la psychologie et la typologie du cadeau, Bertrand, avec tout l’altruisme éclairé d’un conseiller conjugal, envisage, chapitre par chapitre, le choix des cadeaux à faire selon la qualité et le sexe de ceux que l’on entend combler. Sans oublier l’effet produit. Si l’épouse a droit aux fleurs qui, bien choisies, ranimeront des nostalgies éventuellement réparatrices, pour la maîtresse, les chocolats s’imposent, propres sans doute à attiser en elle d’autres gourmandises. Pas moins d’une trentaine de présents et de destinataires sont ainsi définis avec une logique toute bertrandienne, comme une femme de ménage pour le Très Saint-Père, un thermomètre pour le présentateur du 20 h, un pèse-personne pour son psy, une séance de cinéma pour son contrôleur des contributions, le Point G pour un explorateur, une prothèse pour les Flamingants ou encore le jean de Jane Birkin (« qui moule le derrière comme une louche à fromage blanc ») pour son grand-père. On en passe qui toutes brillent par la même évidence, celle qui s’impose aussi dans des propos comme « Le banquier se distingue de la grue cendrée par la longueur et la fréquence de ses migrations » ou, plus métaphysique : « la photocopieuse ignore le mythe de la pureté originelle et penche pour un existentialisme de bon aloi », « à défaut d’éclairer le monde, la liberté éclairant le plafond ». Mais qu’on ne s’y trompe pas : sous les virtuosités verbales qui s’enchaînent à la façon farfelue des cadavres exquis, c’est notre monde d’aujourd’hui qu’Alain Bertrand passe au crible de sa plume, pour en railler les travers ou pour donner à ses agacements les couleurs d’un joyeux badinage. Et quoi qu’en disent ses traits enfarinés et son chapeau pointu, c’est avec la pertinence et la sagacité d’un observateur éprouvé qu’en cours de route il croque nos comportements de société, notamment les malentendus et les rapports problématiques entre les sexes, voire même entre nos deux communautés. Sans prétention aucune, en humoriste, certes, mais aussi en poète. Ce qui est souvent la même chose.