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Critiques de livres

Xavier DEUTSCH
Onze
Namur
Mijade
2011
142 p.
7 €

L’arbitre sifflera trois fois
par Ghislain Cotton
Le Carnet et les Instants N°166

L’éditeur de Onze prévient : le livre « séduira les adeptes du ballon rond mais aussi ceux qui ne le sont pas ». Très juste, parce que cette histoire d’un match de football est en réalité une sorte de western-waterzoi tourné avec entrain par Xavier Deutsch. Avec un suspense qui pourrait rappeler quelque peu Le train sifflera trois fois, ce film où l’on vit chez chacun des protagonistes, et heure par heure, l’attente haletante d’une mort annoncée pour Gary Cooper lors de son face à face avec les trois hommes qui descendront du train pour lui faire la peau. David contre Goliath. Ici, David c’est le minuscule club de football d’un village flandrien appelé Winterveld que la noble loterie du sport et un possible coup de pouce de Notre-Dame de Scherpenheuvel ont catapulté en demi-finale de la Coupe des Vainqueurs de coupe. Avec pour adversaire le mythique AC Milan qui a suscité les lazzis de la presse sportive en ne battant ces petits Flamands que d’un seul but lors du match-aller. Cette fois, c’est donc dans ses modestes installations que l’Eendracht Winterveld est promise par tous à l’inéluctable massacre. Le récit commence la veille du match alors que les Italiens viennent d’arriver et que tout le village est sur les dents. Et particulièrement les joueurs du cru dont Deutsch explore, homme par homme, l’état d’esprit, les comportements familiaux (voire extra-conjugaux) et le travail quotidien. Parce qu’au grand ahurissement des Milanais, il ne s’agit pas de footballeurs professionnels, mais de gens qui, pour vivre, doivent pratiquer un métier durant la semaine : maçon, jardinier, etc. Le projecteur n’oublie pas le prisonnier que l’on sortira de sa cellule, le temps du match, pour y jouer sa partie. Il s’arrête aussi longuement sur le journaliste sportif du Belang chargé du compte rendu, sur le bourgmestre des lieux et, bien entendu, sur le nommé Rouillon, l’entraîneur vosgien de l’Eendracht, rattrapé, à l’occasion de ce match, par les ombres d’un étrange passé. Pour l’heure, il vient de consulter son amie la tireuse de cartes qui a interprété pour lui le tarot en stratège pythique de la sagesse et du discernement. Et en fait de stratégie, c’est Rouillon qui, en inspirant le titre du roman, prend la décision renversante, mais mûrement réfléchie et argumentée point par point, de n’aligner que les onze hommes du terrain en laissant vide le banc des réserves. Question, selon lui, de les mettre dos au mur et de les motiver à se battre jusqu’au bout quoi qu’il arrive. Le match qu’il faut gagner avec un mirifique écart de deux points pour se qualifier se déroule ensuite commenté par un Deutsch d’épopée, très technique aussi et apparemment rompu aux arcanes complexes de ce chassé-croisé sur gazon. Un morceau de bravoure qui navigue entre le Turold de La Chanson de Roland et Luc Varenne. Trêve de suspense, on sait ce qu’il advint de David et on devine donc que ce roman bien mené, captivant, riche aussi d’humanité, de psychologie et d’humour, ne tournera pas à la confusion des Flamands de Winterveld. Qui, dans ce western-ci, après avoir encaissé un but, (d’ailleurs prévu comme émollient de l’adversaire par un Rouillon-la-Science très sûr de lui), feront siffler trois fois l’arbitre en leur faveur, sonnant ainsi l’improbable déconfiture du Goliath milanais.