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Critiques de livres

Marc MEGANCK
Port au Persil
Bruxelles
Bernard Gilson
2010
202 p.
18 €

Jours de grève au bord du Saint-Laurent
par René Begon
Le Carnet et les Instants N°166

À la veille de ses trente-quatre ans, un journaliste sportif belge, spécialisé dans le cyclisme, part au Québec en emportant dans ses bagages un livre qu’il a visiblement peur d’ouvrir. Il va rejoindre sa maîtresse, Adélaïde, près de Rivière du Loup, sur la rive sud du Saint-Laurent, où celle-ci passe quelques jours chez sa sœur Seby. Chris Borowsky n’est pas ce qu’on peut appeler un passionné, ni sur le plan professionnel, ni en matière affective. La routine professionnelle le guette, bien qu’il n’ait pas encore atteint le stade de démobilisation de son chef, Matteoti, qui écrit ses articles après voir regardé les courses au bar du coin.
Sa vie affective n’est pas beaucoup plus palpitante. Consultante en gestion du temps de travail, son amie Adélaïde est très prisée des entrepreneurs et donc très chiche de son propre temps libre. Elle habite un appartement luxueux donnant sur le parc d’Egmont à Bruxelles, où, depuis les quelques mois qu’ils se fréquentent, elle a pris l’habitude d’attendre son amant deux fois par semaine, nue, dans son canapé, en dégustant du vin mousseux catalan.
Arrivé dans le Charlevoix à bord d’une voiture de location qui tombe en panne, Chris se retrouve par-dessus le marché coincé dans le port de Saint-Siméon par une grève des « traversiers », les ferry-boats locaux. Tous les hôtels du coin affichant complets à cause de la grève, le journaliste aboutit dans une chambre d’hôte du hameau de Port-au-Persil, tenue par une vieille dame et ses deux frères.
L’histoire se déroule durant l’été 2009 : Michael Jackson est mort la veille, le 25 juin, et les médias québécois diffusent sans relâche les tubes de la star. Ce ne sera pas la seule répétition qui caractérisera ce roman de Marc Meganck : sans doute désireux de suggérer la monotonie du séjour dans ce coin perdu de la côte du Charlevoix, l’auteur se répète à l’excès, comme s’il soupçonnait les lecteurs d’être incapables de comprendre l’ennui profond qui s’abat sur le narrateur, bloqué dans ce hameau québécois par une grève qui s’éternise.
Les chansons de Michael Jackson, les deux petits vieux qui découpent des légumes pour la soupe, les affichettes vantant un spectacle de karaoké collées partout, la belle Marie, petite-fille de la patronne qui joue avec le narrateur un absurde jeu de séduction et de rejet, ce livre qui hante le héros, mais dont l’auteur ne fournit, pendant la plus grande partie de l’histoire, aucun indice au lecteur sur la nature de l’inquiétude qu’il engendre : toutes ces ficelles, ressassées à l’infini, agacent davantage qu’elles ne suggèrent.
Pourtant, en dehors de certaines réflexions poujadistes très convenues sur la politique belge, l’auteur ne manque pas de ressources narratives : bien que souvent caricaturaux, ses personnages ont de l’épaisseur, les décors existent, l’atmosphère générale de ce petit coin du Québec est bien détaillée, l’alternance entre les scènes bruxelloises et celles du présent de la grève et de l’attente a sa cohérence. Malgré certaines réactions d‘impatience, on suit l’histoire jusqu’au dénouement, plus profond qu’on ne l’aurait cru. Peu de choses auraient cependant suffi à alléger le fil du récit…