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Critiques de livres

Gérard ADAM
Le saint et l’autoroute
Bruxelles
M.E.O.
2011
312 p.
25 €

Fête et drame au village 
par Francine Ghysen
Le Carnet et les Instants N°166

Après L’impasse de la renaissance (Luce Wilquin, 2001), un des livres auxquels il tient le plus, Gérard Adam, durant huit ans, restait silencieux. Il avait perdu, non le goût, le besoin d’écrire, mais celui de publier.
Il l’a retrouvé, on s’en réjouit, faisant paraître en 2009, chez M.E.O., l’exotique Qôta-Nîh, et aujourd’hui, à la même enseigne, un roman aussi insolite, inattendu, que son titre : Le saint et l’autoroute.
Le cadre : Orsennes, un village gris de la région mosane, qui offre deux singularités : être bordé par une autoroute improbable au milieu des champs et abriter le culte fervent d’un mystérieux saint Vally, mort en martyr voici huit siècles. On pourrait en ajouter une troisième : le village est coupé en deux, avec ses deux curés ; Valère, défroqué par amour, qui célèbre encore des offices de son cru dans une grange transformée en salle de prières ou sous un chêne, et son successeur, le traditionaliste abbé de Nève.
C’est à trois pas d’Orsennes qu’Armand Garret, représentant en horlogerie, tombe en panne un vendredi soir de juin, criblé d’averses. Moteur à bout de course que le garagiste du coin pourra remplacer, mais il lui faudra patienter jusqu’à lundi, car nous sommes à la veille de la Saint-Vally, événement sacré, fête flamboyante, enchaînant, pendant deux jours de dévotion et de liesse, procession, cavalcade, fanfare, chars décorés, messes, bal… et force libations.
Homme de la ville, détestant la campagne, notre voyageur de commerce en est quitte pour s’y promener, faire des rencontres imprévues, souvent heureuses, et s’apercevoir que quelque chose manque à sa vie, qu’il pourrait trouver ici…
Dans le sillage d’Armand, épicurien, voix d’or, œil amusé, on découvre des personnages hauts en couleur, tels l’aubergiste Eugénie, dite Génie, dont le petit salé vaut le détour (le cœur généreux aussi) ; le professeur, historien, philosophe, Damien Plateau, surnommé Platon, grand sceptique, fin et narquois. On participe à la vénération populaire, aux folles réjouissances. On sent aussi peser dans l’ombre l’oppressant secret d’un simulacre de mariage qui doit se dérouler au lendemain de la fête.
Survient le drame : Basile, l’innocent du village, naïf et bon, qui parle aux oiseaux et que tout le monde affectionne, disparaît et est retrouvé, assassiné, au fond de la Meuse.
La chronique villageoise, savoureuse et folklorique, avec sa confrérie des Gras Couchés, son concours de couillon, aussi sérieux qu’un tournoi d’échecs (« La Provence a le soleil et la pétanque, la Wallonie la pluie et le couillon »), se transforme en roman policier. Et Armand cède le premier rôle à la commissaire Alizée Trouillot, intelligente, sensible, dont les intuitions et la perspicacité font merveille, même si elle ne se croit pas taillée pour un métier embrassé sans l’avoir vraiment choisi. Plusieurs affaires viennent au jour. Liées ou non ? Tout en cherchant à les élucider, à mettre en place les pièces du puzzle qui se dérobent, Alizée, à mesure qu’avance l’enquête, en devine l’issue amère : « Justice est faite, pourront clamer juge et substitut. Mais l’habit de cette justice, de quel fil d’injustices l’aurons-nous cousu ? »
Rebondissements. Pistes vraies ou fausses. On s’égare parfois dans le labyrinthe mais on persévère, curieux de vérifier ses hypothèses, de connaître le dénouement – que je me garderai bien de révéler !
Disons simplement que Gérard Adam a pris un évident plaisir à faire vivre le décor, « le seul village au monde qui possède à la fois un saint et une autoroute », à camper ses personnages, nouer les intrigues, serrer les dialogues. Et ce plaisir est contagieux, avec ce qu’il faut de mélancolie pour lui donner tout son sel.