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Critiques de livres

Francis DANNEMARK
Du train où vont les choses à la fin d’un long hiver
Paris
Robert Laffont
2011
92 p.
14 €

Train de vies
par Michel Torrekens
Le Carnet et les Instants N°166

Il y a des titres comme celui-ci, Du train où vont les choses à la fin d’un long hiver, qui annonce la petite musique qui va accompagner votre lecture. En l’occurrence, un double heptamètre, deux vers de sept pieds, soit un rythme qui prend le temps de dire les choses, de les susurrer comme une confidence amicale. Il nous donne aussi le décor, celui d’une saison qui symbolise une forme d’aboutissement, dont l’auteur, Francis Dannemark, nous annonce en plus la fin. Comme s’il rangeait ce texte parmi ceux de la maturité. Enfin, il y a ce mot, train, qu’il utilise dans un double sens et l’entraîne au jeu de mot en qualifiant cet ouvrage de roman (de gare) ! Maturité, légèreté, humour se conjuguent en effet dans ce court récit qui ne fait pas cent pages et qui se déroule dans un… train. Roman ferroviaire donc où se rencontrent deux personnages pour un voyage Bruxelles-Barcelone, métaphore de deux vies projetées dans l’existence et qui vont se regarder en miroir, mêlant mélancolie, nostalgie, désabusement, complicité, séduction et cette espèce de tendresse qui peut naître entre deux êtres qui ont l’intuition de s’être toujours connus tout en étant des étrangers l’un pour l’autre. Ils sont en partance, ils sont seuls, un peu perdus. A l’heure des bilans, des comptes et des mécomptes, les leurs mais aussi ceux de la société dans laquelle ils semblent contraints d’évoluer. Ils s’éloignent de ce monde connu, un monde qu’ils ne comprennent plus très bien, qui suscite chez eux doutes et interrogations, craintes parfois et envie de prendre du recul. Ils devaient le faire à Lisbonne, ils le feront finalement ensemble. Comme en suspension. Il s’appelle Christopher, il survit – de plus en plus difficilement – dans le monde de la culture, mais il aurait pu enseigner, entretenir des jardins ou construire des maisons. Il a « l’air de quelqu’un qui ne s’est pas vraiment remis de son dernier marathon ». Elle s’appelle Emma, ressemble à Holly Hunter, n’en fait pas tout un cinéma. Quoique. Ils parlent, comme deux navetteurs. Ils évoquent le désert, la cérémonie du thé, le jazz, la crise, l’amour, les enfants, la mort… au gré d’une conversation légère comme les bulles d’un champagne millésimé. Leur art de la conversation s’y nourrit également d’un essai de Simon Leys, Les idées des autres. Et comme Francis Dannemark le dit du jazz, nous pourrions évoquer à propos de ce livre « un léger détachement, un équilibre fragile et émouvant… », à la manière d’un autre livre court mais profond, aux échos subtils : Soie, d’Alessandro Barrico. Ils devaient arriver à Lisbonne, ils se promettent d’aller… au bout du monde, pour un nouveau printemps.
Un beau roman d’aventures immobiles, un voyage intérieur, galopant comme un thriller, amusant comme un jeu, qui sollicite l’attention, le sens de l’humour et puis, mine de rien, satisfait la curiosité intellectuelle et dispense la sagesse.