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Critiques de livres

Comme l’oued des souvenirs… 
par Ghislain Cotton
Le Carnet et les Instants N°166

À l’âge où, selon Hergé, on perdrait le droit de lire Tintin, l’académicien Alain Bosquet de Thoran, publie Souvenirs et rêveries en désordre. Une flânerie au cœur de la mémoire, ce « rêve qui va et vient le long de notre vie » et que Valéry, invoqué d’emblée, qualifie de « quatrième dimension de notre environnement tant mental que physique ». La plongée dans cet espace mouvant, où l’imaginaire confère au réel la vraie dimension du vécu personnel, débute dans le silence et l’immensité du désert égyptien. Pour Alain Bosquet, une expérience étonnante d’un an de solitude et de dépouillement, vécue « sur la trace des anachorètes » du monastère de Pacôme depuis longtemps inhabité. On découvre ensuite, au fil de ses nombreux voyages et escapades, le dialogue constant de l’art et de la songerie, du regard et des enchantements qu’il suscite. Enchantements qui lui font traverser le miroir d’Alice pour le plonger dans cette autre réalité qui donne à l’art tout son sens. Et le voilà qui, comme dans le conte chinois de Yourcenar, emprunte la ligne de fuite de l’œuvre ou du paysage jusqu’à vivre des illusions prodigieuses. Comme s’endormir dans la Chasse nocturne d’Ucello, se retrouver errant dans le chantier de la Tour de Babel signée Maerten van Valkenborch ou s’entretenir toute une nuit avec Louis d’Orléans après s’être laissé enfermer dans le château de Pierrefonds. Ce ne sont pas là divagations gratuites, mais hantises consubstantielles (mot luxueux mais indispensable) à ce poète et à cet auteur à la fois discret et intensément habité, qui s’est donc senti condamné un jour « à errer dorénavant sur la crête étroite qui sépare le rêve de la réalité ». Sur un chemin que peuvent d’ailleurs évoquer quelques-uns de ses titres. Du Petit guide pour la visite d’un château au subtil Traité du reflet, en passant par le Songe de Constantin, son œuvre la plus magistrale. Qu’il s’agisse des séjours lumineux en Italie ou de souvenirs plus familiers ou plus banals en apparence, cet inventaire désordonné n’échappe jamais aux magies du visionnaire ni d’ailleurs à une nostalgie avouée in fine et qui appelle aussi ce corollaire mélancolique en forme d’oued : Tous souvenirs ont leurs limites au-delà desquelles commence l’immense désert de sable ou se perd l’oubli…

Alain BOSQUET DE THORAN
Souvenirs et rêveries en désordre
Bruxelles, Didier Devillez, 2010, 104 p., 16 €