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Critiques de livres


Barbara ABEL
Duelle
Paris
Ed. du Masque
2005
430 p.

Un implacable thriller psychologique

Après L'instinct maternel, Prix Cognac 2002, et Un bel âge pour mourir, tous deux déjà pu­bliés au Masque, voici Duelle, le troi­sième roman de Barbara Abel, à qui nous pouvons, sans trop risquer de nous tromper, prédire très vite la reconnais­sance du grand public en tant que dauphine du thriller psychologique franco­phone. Les libraires en tous cas, lors de la soirée de présentation du livre à Bruxelles par les éditions du Masque, n'ont pas fait mystère de leur sympathie renouvelée, envers ses héroïnes, mais aussi face à sa virtuosité démoniaque à piéger les lecteurs dans des intrigues inédites à rebondissements multiples. Duelle relate l'histoire de Lucy, une jeune femme qui a grandi sans histoire au sein de sa famille d'adoption, et qui mène aujourd'hui à Saint-Gilles une vie de petite bourgeoise privilégiée avec Yves, son mari attentionné, et leurs deux adorables enfants. Devine qui est là ?, une émission de téléréalité qui ré­unit ceux que la vie a séparés — soit dit en passant, aussi stupide et indécente dans le livre que dans la vraie télé — la contacte : quelqu'un cherche à la re­trouver. Serait-ce sa vraie mère ? Il s'agit de sa sœur jumelle, Angèle, donc Lucy ignorait jusqu'à l'existence. Au fil des retrouvailles, d'une intensité qu'on imagine aisément, les rapports entre les deux sœurs évoluent étrange­ment, modifiant leurs relations à autrui autant que l'image qu'elles ont d'elles-mêmes. On imagine toutes les déclinai­sons auxquelles se prête le thème de la gémellité : subtiles interférences phy­siques et psychiques, jeux de ressemblances et dissemblances, identifications jalouses, haine en fusion. Au fil des péripéties et rebondissements, le lecteur a beau vouloir s'arrêter un ins­tant, le temps d'imaginer les développe­ments possibles, l'auteur, machiavéli­que, le surprend encore et toujours au détour de la scène inattendue. Barbara Abel fait preuve ici d'une perversité inimaginable, peut-être encore pire que dans les deux romans précédents, où le lecteur du moins se savait confronté à quelques psychopathes clairement cam­pés. Aujourd'hui, l'auteur transcendant avec brio les frontières qui rassurent, il n'est plus seulement question de bons et de mauvais : les personnages évoluent en équilibre incertain entre perversion et folie.

Certes, il reste des faiblesses, même si le travail de relecture littéraire mené avec l'éditrice est à saluer. Quelques lieux communs peut-être, des moments où le récit interprété d'une plume limpide cède la place à des lourdeurs évitables, de petites incohérences dans la con­struction psychologique de certains per­sonnages secondaires. Mais il y a aussi et surtout une vraie jubilation à se faire surprendre à plusieurs reprises par cette intrigue tissée de main de maître. Une intrigue qui, disons-le tout net, nous a bien plus captivée et séduite que celle d'un Da Vinci code totalement abracadabrantesque, à peine habité de personnages totalement aseptisés...

Judith Szwarc