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Critiques de livres


Collectif
édité par Adolphe Nysenholc
André Delvaux
Editions de l'Université de Bruxelles
1994
n° 1-4
collection « Le sens de l'image »
399 p.

L'odeur de l'orange...

André Delvaux, publié sous la direction d'Adolphe Nysenholc aux éditions de l'Université de Bruxelles, propose à la fois des images d'archives, des documents de travail (scénario, synopsis, bribes de découpage, affiches), des témoi­gnages, des interviews et une série d'ap­proches critiques qui cherchent à cerner l'identité du cinéaste, les thèmes qu'il privi­légie, un certain regard sur sa filmographie.

L'odeur de l'orange où l'on enfonce un sucre à sucer, la brume qui enveloppe le Trou du noir Flohay, les trains qui « cra­chent des bouillons suffocants de fumée blanche », ce dilemme entre germanité et romanité qui en déchire trop mais qui, ici, se fait source d'histoires : le cinéma d'André Delvaux est bien de chez nous. De ces terres quasiment irréelles entre Fagnes et mer grise, de ces terres entre deux langues. Et c'est une bonne chose que de temps à autre le cinéma d'ici se lise, se décrypte au­trement. Que l'on oublie les lectures clin­quantes où la liste des stars remplace l'ap­proche du talent pour darder les projecteurs sur les multiples facettes du travail du ci­néma.

Certes, ce n'est pas inutile de se remémorer Fanny Ardant dans Benvenuta, Yves Montand dans Un soir, un train, Mathieu Car­rière, Anna Karina dans Rendez-vous à Bray, Marie-Hélène Barrault dans Femme entre chien et loup, Gian Maria Volonté dans L'Œuvre au noir...

Au-delà de la liste, ce qui frappe, c'est une communauté de regards, c'est le sourire énigmatique de ces personnages, leurs des­tins qui se croisent au fil des rencontres de l'auteur de film avec les écrivains. Un certain souvenir, une certaine écriture, la beauté évanescente de certaines images en écho de notre tradition picturale.

Grâce à ce jeu d'entrecroisements, ces mi­roirs flous, ces ricochets, on parcourt une œuvre, en en retrouvant la richesse et la profondeur.

Pour le béotien, c'est l'occasion de voir le travail du cinéaste dans ses aspects mécon­nus. Les documents mis à disposition reflè­tent mieux encore les parcours d'André Delvaux, révèlent les indices du travail d'imaginaire qui nous appartient subite­ment aussi.

Dommage qu'une édition universitaire reste universitaire et privilégie le sens et le contenu au détriment de l'image et du plai­sir global de la rencontre. Car il faut sauter au-delà de l'aspect rébarbatif d'une mise en œuvre peu amène — caractères typogra­phiques différents selon les sujets (un cata­logue ?), images d'archives données sans vé­ritable composition en rapport avec le contenu — pour trouver, dans le témoi­gnage de Suzanne Lilar, dans les entretiens accordés par André Delvaux lui-même, la substantifique moelle qui permet réellement une approche sincère et profonde de l'œuvre du cinéaste, celle que semblait pro­mettre la très belle photo de couverture. Alors que l'ensemble des éléments ici ras­semblés constitue un puzzle bien intéressant pour qui s'intéresse à notre cinéma et à l'un de ses plus grands défenseurs. La dernière image personnelle que j'ai à ce jour du cinéaste, c'est celle d'André Delvaux en parka gris dans les couloirs de La Mon­naie lorsqu'il espérait encore tirer un film de La Ronde mise en scène par Luc Bondy sur la musique de Philippe Boesmans. Et je suis évidemment très tentée de rapprocher cette production qui n'arriva pas à terme des pa­roles du cinéaste sur la difficulté d'être de notre cinéma aujourd'hui. Celui qui vint au cinéma à près de quarante ans et a, sans ta­page médiatique, tracé sur la pellicule les contours de ses rêves pour les partager avec nous n'a plus guère d'illusions sur le destin de notre septième art... Combien de temps faut-il aujourd'hui à un cinéaste belge (re)connu pour monter la production de son film suivant ? Combien ?

Nicole Widart