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Critiques de livres


Marc LOBET
Après toi, le désert
Le Cri
2005
60 p.

Dans les bras du monde

Dans son premier récit, La séance de massage, paru au Cri en 2003, le cinéaste Marc Lobet célébrait le toucher. Non point simple sensation physique, plaisir épidermique, mais sens majeur, le seul qui satisfasse le profond be­soin de l'humain d'échapper aux larmes de la solitude. Si nous prenons le temps de l'éduquer, si nous osons l'explorer jusque dans ses plus secrètes nuances, ses plus intimes résonances, il devient émotion et communication. Partage, aime à dire Claire. Entre les mains d'oiseleur de cette grande prêtresse du massage sensitif, un homme s'abandonne à d'envoûtants voyages à travers l'espace et le temps ; vogue, toutes amarres dénouées, toutes tensions effacées, au gré d'une profusion de sensations et d'images-signes, jusqu'à faire sourdre des sources obscures, des énergies magiques. Apprend, au plus profond de lui, que la peau sait tout — et dit tout — de l'être humain. Deux ans après cette ode au toucher, nous retrouvons Marc Lobet dans un petit livre qui n'est pas sans affinités avec le premier : Après toi, le désert. Toujours une écriture élégante, précise, voluptueuse, courant sur la même dis­tance d'une cinquantaine de pages. Toujours l'aspiration à l'union chair et âme avec le cœur de l'univers et, au-delà, avec le noyau de l'être. Ce n'est plus le massage enivrant et sub­til qui transporte le personnage dans le monde des révélations, mais la fusion avec le désert du Sud marocain. Par l'al­liance du sable, de la lumière, du si­lence, de la passion amoureuse. Dévastée par le départ brutal de son compagnon de vingt années, une femme a l'intuition fulgurante que cette rupture, cet abandon qui la brisent pour­raient déboucher sur un renouveau. Le rêve incandescent d'une étreinte avec un berger bédouin, Ismaël, lui dicte le lieu de cette renaissance. Et Chloé décide de répondre à l'appel du désert, qui se confond avec l'appel de l'amour. Cette « marche à l'étoile » sera scandée de rencontres initiatiques : Théodore Monod, qui lui fait comprendre que le sacré est la colonne vertébrale de l'être ; un cavalier arabe nommé Saâdi, comme le poète du XIIIe siècle qui chantait l'amour, la sagesse et les roses, qui lui confie, à l'instant des adieux, qu'il s'ap­pelle en réalité Isabelle Eberhardt... Habitée par l'amour pour Ismaël, qui se construit au creux d'elle-même de jour en jour, nue comme est nu le désert, Chloé connaît la plénitude du dépouille­ment.

Je guide ma caravane de songes à travers les ergs couleur safran d'un désert sans pistes, vers l'oasis de l'Autre. Ce désert devient sub­stance de ma vie. [...] Je deviens de plus en plus légère à mesure que j'erre dans les dunes de la mémoire du passé. Je me débarrasse de tous mes souvenirs en les balançant sur l'erg pour que le vent les ensevelisse. [...] Je com­mence à vivre dans le « rien », à éprouver la vérité du néant, avec le désert pour conjurer ce Rien qui, peu à peu, va s'approprier le Tout, s'y noyer entre ciel et sable. On suit cette quête fervente, mystique, aux accents inspirés, avec pourtant quel­que réticence. Sans doute parce qu'elle évoque des croyances, des sagesses, des alchimies portées trop complaisamment, et souvent avec moins de talent, par l'air du temps.

Francine Ghysen