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Critiques de livres


Marc QUAGHEBEUR (dir.)
Un pays d'irréguliers
Labor
coll. Archives du Futur
1990
141 p.

Les approximations de l'histoire

Voici un livre qui devrait avoir tout pour nous plaire. D'abord, parce qu'il est soigneusement illustré : des images fortes, belles, et qui, pour cer­taines d'entre elles, sont rarement montrées. On voudrait citer la « pipe-bite » de Magritte, telle partition de Galonné, les col­lages de Mesens ou la gueule burinée de Broodthaers en maréchal d'Empire, au-des­sus de la morne plaine où pourrissent les cadavres de Waterloo (un grand dessin signé Lennep). Ce sont des oeuvres présen­tées dans l'exposition « Les irréguliers du langage », qui commença sa carrière à Paris avant d'être accueillie en Belgique, en Es­pagne et en Italie. Et c'est de la péninsule italienne que nous vient le catalogue Arleccbino senza mantello. Fantasmi délia « belgité » Cette publication est dirigée par Ruggero Campagnol! et Marc Quaghebeur qui en ont confié la coordination à Anna Soncini Fratta, laquelle a supervisé les notices rédigées par Margareth Amatulli et Chiara Elefanti à partir d'une documentation ras­semblée par Véronique Iago, qui elle-même collabore à la « Cellule Fin de siècle » d'où est partie toute cette histoire. Précisons-le, afin que César y retrouve les siens. Quant aux nôtres, ceux que nous avons aimés dans l'exposition, nous les retrouvons dans cet ouvrage qui complète heureusement, avec la couleur en plus, le volume paru naguère chez Labor.

En préface du catalogue, Campagnoli expli­cite la synecdoque qui permet d'identifier la tribu des Irréguliers au fantasme de la belgité. La Belgique (francophone) est un pays d'Irréguliers selon un mouvement compa­rable à celui qui fait s'incarner en Descartes toute la raison française et, partant, qui identifie l'Etat lui-même à cette raison qui le fonde. Quaghebeur, quant à lui, répète, mais cette fois in lingua dantesca, ce qu'il avait déjà dit en postface de Un pays d'irréguliers, dans un texte intitulé « Entre images et babil». Il décrit les différentes étapes d'une démarche qui a conduit nombre de créateurs belges, d'une part, à produire un travail de décalage sur la langue et, d'autre part, à exprimer leur fascination pour la plasticité du langage en glissant constam­ment de l'écrit à l'icône, du nommé au montré. Enfin, avant de laisser la place aux commentaires des documents sélectionnés, Soncini Fratta brosse à grands traits l'his­toire de nos provinces pour épingler les en­jeux culturels qui les traversent au fil des siècles.

On le voit, le propos est ambitieux et inté­ressant à plus d'un titre. Il est dès lors d'au­tant plus regrettable que la crédibilité de l'ensemble soit entamée par de fâcheuses approximations.

Ainsi, la présentation de l'exposition est dé­coupée en quatre chapitres, intitulés « Les précurseurs », « Les avant-gardes », « Pein­ture et écriture » et « La postérité ». A juste titre, Hergé et Magritte figurent parmi les précurseurs. Comment alors peuvent-ils également trouver place au sein de leur propre postérité ? Peyo est considéré lui aussi comme un précurseur. On veut bien, mais de quoi ?

Si de telles appréciations peuvent encore se discuter, on peut s'étonner davantage de la désinvolture avec laquelle on traite les véri­tés d'ordre factuel. A cet égard, c'est Hergé qui semble le plus malmené. Tel gag extrait d'un album de Quick et Flupke devient in­compréhensible suite à l'interversion des deux dessins qui le synthétisent (p. 41) ; une vignette censée provenir du Trésor de Rackham le Rouge est en réalité extraite de Coke en stock (p. 59). L'auteur des aventures de Tintin (créées, s'il faut en croire le cata­logue, en 1930, au lieu de 1929 — p. 184) est désigné (p. 58) comme le « fondateur de L'école de Bruxelles de Bande Dessinée » : l'école de Bruxelles, et non pas l'école belge, avec des majuscules, s'il vous plaît, et en italiques, comme s'il s'agissait de l'appellation officielle d'un institut scolaire. S'il n'y avait encore que les faits à être mal­menés ! Mais certaines formulations témoi­gnent, pour le moins, d'une méconnais­sance de notre réalité culturelle. Prenons le cas de Verheggen, « défini à tort comme un écrivain régionaliste », déclare M. Amatulli (p. 156). Mais qui donc a jamais prétendu une telle ânerie ?

On s'en voudrait de chicaner, parce que, vraiment, le livre ne manque pas d'intérêt. Mais c'est énervant, à la fin, toutes ces ap­proximations dans ce qui aurait pu devenir un ouvrage de référence.

Carmelo VIRONE

R. CAMPAGNOLI et M. QUAGHEBEUR (dir.), Arlecchino senza mantello. Fantasmi délia « Belgité », Rimini, Panozzo Editore, 1993.