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Critiques de livres

L'art mis à nu
par Laurent Moosen
Le Carnet et les Instants n° 148

Quel rapport peut-on aujourd'hui imaginer entre l'étude de l'anatomie et nos représentations esthétiques du corps? C'est à cette question qu'a tenté de répondre l'exposition «Art, anatomie, trois siècles d'évolution des représentations du corps», du 20 avril au 16 mai 2007 à l'Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles.

Le catalogue qui accompagne ce projet recouvre des questions si vastes qu'il mérite l'attention pour ses seules qualités intrinsèques. Dans la somme réunie et forcément inégale, on retiendra en particulier les interventions très pertinentes de Jackie Pigeaud et de Lucien Massaert qui retracent l'histoire de l'esthétisation initiale de l'anatomie dès les travaux d'André Vésale (1514-1564), le précurseur bruxellois en la matière. Alors que l'Occident découvre des terres nouvelles en Amérique, que Nicolas Copernic établit sa révolution et pose les jalons de notre mondialisation actuelle (le modèle de la sphère chère au philosophe allemand contemporain Peter Sloterdijk), Vésale se lance dans l'aventure intérieure et place la conscience de soi au cœur de ses recherches. Les planches de ses traités d'anatomie, réalisées par lui mais également par Calcar, élève du Titien qui se verra d'ailleurs longtemps attribuer la paternité de ces œuvres, mettent en scènes les muscles, les os et les viscères dans un improbable balai macabre. Condamné parce qu'il aurait disséqué une femme vivante, Vésale ouvre néanmoins la voie au spectacle du vivant qui ne cessera de s'affirmer ensuite malgré les résistances religieuses. Et les artistes alors? Fidèles au principe – condamné par Platon – de la reproduction exacte du réel, les découvertes scientifiques des anatomistes leur permettent d'appuyer la représentation des corps sur une composition exacte de leur structure et des modifications que le mouvement entraîne sur la forme d'un muscle ou la posture d'un membre. On peut citer l'Italien Genga (1655-1734) qui n'hésitera pas à réaliser dans son atelier des planches sur lesquelles les cadavres reproduisent fidèlement des compositions classiques tel le Laocoon. Qu'on pense également, bien plus proche de nous, à Francis Bacon qui reconnaissait une dette immense à l'égard des décompositions photographiques du mouvement d'Eadweard Muybridge ou, plus controversées, aux compositions étranges du professeur Von Hagens réalisées cette fois avec de véritables cadavres aux origines douteuses et qui subirent sa méthode de plastination des corps. Parfois aussi, l'anatomiste emprunte des symboles originellement dévolus à l'imaginaire pictural, telle cette mouche rappelant la pourriture terrestre sur une planche de Bidloo (1649-1713).

Par la qualité et l'originalité des reproductions qui y figurent, ce livre vaut à lui seul un détour curieux, voire un prolongement philosophique à la lecture de certaines contributions si votre âme y incline.

 

Art, anatomie, trois siècles d'évolution des représentations du corps, Bruxelles, La Part de l'Œil/Presses de l'Académie des Beaux-Arts de Bruxelles, 2007, 171 p.