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Critiques de livres

Saber Assal
Parle-moi de ton absence
Bruxelles
Couleur livres
2007
230 p.

Comment parler à son fils, comment parler de sa mère
par Jeannine Paque
Le Carnet et les Instants n° 148

Saber Assal a déjà, voici quelques années, retracé l'histoire de sa vie dans un livre, À l'ombre des gouttes (Le Cerisier, 2000). Une histoire qu'il complète aujourd'hui en remontant dans le temps et en élargissant le champ puisqu'il prête sa voix et sa plume à sa mère dans Parle-moi de ton absence. Cette autre vie, cette vie antérieure mais aussi parallèle, il ne pouvait la connaître. Il a fallu qu'elle la lui raconte, après une séparation de trente ans. Que ce récit différé, que cette longue confidence d'une mère à son fils soit difficile, douloureuse, violente, sa nécessité va de soi. Il faut combler les béances, insupportables parce qu'incompréhensibles, guérir enfin les plaies infligées de l'extérieur ou venant de ce qu'on considérait comme le plus intime de sa vie. Inès, la mère de Saber et de ses quatre frères et sœurs, a été mariée de force au Maroc à l'âge de treize ans. À raison d'une grossesse par an, sans compter un avortement imposé, elle se retrouve, à vingt ans, émigrée en Belgique, chargée de responsabilités, travaillant dur et subissant des violences psychologiques et physiques, à la merci d'un mari brutal, profiteur et, bien entendu, infidèle. Elle fait un effort d'assimilation, montre beaucoup de courage, entreprend par elle-même, mais reste soumise à l'autorité masculine. Lors d'un séjour au Maroc, fallacieusement présenté comme un répit, des vacances, elle sera victime du rapt de ses enfants que son mari emmène en Belgique, l'abandonnant à Casablanca avec sa dernière-née, sans papiers, sans ressources, sans la moindre idée d'un endroit où les chercher. Incapable d'agir ou de faire valoir ses droits parce qu'elle est infériorisée en tant que femme, face à la tradition musulmane et à une justice inégalitaire. Quel que soit son combat, elle se heurte à toutes sortes de violences, psychologiques, familiales, sociales, ethniques, religieuses… Et c'est ce vécu que transmet son récit, où alternent les voix : la sienne, voix parlée, familière, ingénue encore et celle de son fils, qui s'est appliqué à transcrire ce discours spontané dans le registre plus soutenu d'un français qu'elle n'a jamais appris vraiment. Il le fallait. C'était pour lui et pour tous ceux qui le liraient une manière d'expliquer une absence incompréhensible, de réparer ce dont il n'était pas responsable. Une manière aussi d'honorer sa mère, de restaurer sa dignité et, si possible, de lui rendre le goût de la vie.

Voici donc à proprement parler un récit de vie, singulier, fortement «individué » à première vue. Et pourtant, il résonne bien au-delà de ce propos. Il invite à une réflexion générale sur les conditions de vie de ce qu'on appelle encore les minorités, à savoir les minorisés de nos sociétés, d'ailleurs et d'ici, qu'il faut regarder de près précisément. Il impose de se faire une opinion, de formuler un jugement et de prendre position. C'est aussi le rôle de la littérature.