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Critiques de livres


Jean-Philippe TOUSSAINT
Autoportrait (à l'étranger)
Minuit
2000
119 p.

« En ces temps de fête et de Champagne »

Paris, le 30 décembre 1999

Cher Monsieur,

Je vous écris suite à ma lecture de Autopor­trait (à l'étranger), votre dernier livre. Je ne me serais pas autorisé une telle démarche lors de la sortie de vos autres romans ou de vos films, leur fiction distanciée (ce qui n'empêchait pas des incursions dans le réel et dans l'intime, et pas que celui de la salle de bain) ne permettait pas de se confier à vous. Ne craignez rien, je ne vais pas m'épancher, je n'écris pas à Christine Angot (n'est-elle pas l'écrivaine qui vous est la plus opposée ?). Et si un jour nous nous croi­sions à Tokyo, Kyoto, Berlin, Hanoi... (y allez vous encore parfois ?, moi je n'y ai ja­mais mis les pieds, ni le reste d'ailleurs, je ne suis pas conférencier — c'est ainsi qu'on appelle les écrivains dans le milieu des am­bassades, si je vous ai bien compris) ou dans une rue de Bruxelles, je ne vous taperais pas sur l'épaule. Par contre, si, sur une place de Corse, je vous aperçois avec votre chapeau qui vous va « comme un gant sur la tête » en train de tirer ou de pointer, peut-être que là, je serai tenté... Car dans ce court autoportrait (qui est réelle­ment un autoportrait ; qui glisse parfois vers la fiction burlesque), vous gardez tout de même certaines distances, en restant fidèle à votre méthode d'écriture et à votre ironie gracieuse, en ne livrant ni vos sentiments ni vos tripes en pâture. En fait, vous vous cro­quez en « acteur-regardeur » (quelqu'un qui agit et regarde, qui agit en regardant), voire en voyeur (avez-vous mis, vous aussi, votre doigt « à la pâte », dans les tréfonds de la de­moiselle, lors de votre visite de la boîte à strip-tease à Nara, capitale historique du Japon ? Vous ne le dites pas — je vous ta­quine). Tout au long des pages, votre corps reste très présent, avec ses déplacements, ses douleurs, ses craintes, ses joies... Très peu pour vous l'œil objectif de Robbe-Grillet. Auriez-vous remarqué les mêmes choses dans ce restaurant de Tokyo si votre dos n'avait pas souffert de scruchjhta ? Et en Tunisie si vous n'aviez pas trimbalé cet étrange pressen­timent de mort qui vous faisait redouter le moindre trajet ? Après avoir refermé votre livre, je reste hanté par votre silhouette. Si j'avais décidé de vous écrire, ce n'était pas pour vous expliquer votre livre, vous le connaissez mieux que moi (tiens, peut-être que le Carnet et les Instants pourrait publier cette lettre, cela m'éviterait de suer sur une chronique, en ces temps de fête et de champagne) mais pour vous dire qu'il n'y a pas qu'à votre admiratrice japonaise que votre œuvre fait le même bien que la médecine chinoise (« sans jamais employer de grands moyens, [elle] lui procurait toujours un étrange bien être »). J'ai commencé à lire votre livre la tête enflée de stress, et plus je tournais les pages, plus je riais, plus je me sentais bien. Mais comme vous le dites vous même (dès la page 14!) : Trêve de confi­dences. Bien à vous.

Michel Zumkir