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Critiques de livres


Eva KAVIAN
Autour de Rita
Le Castor Astral
coll. Escales du Nord
2002
105 p.

Huit femmes, plus une

Les huit femmes d'Eva Kavian ne sont pas aussi glamoureuses que celles de François Ozon. Elles n'ont rien de stars de cinéma mais tout de nos mères, fiancées, épouses, compagnes, amantes, voi­sines... Leur beauté n'est pas artificielle ; le manque affectif ou le désir inassouvi les poussent davantage à agir (ou à rester pas­sives) que la rivalité féminine ou l'argent d'un homme hors champ — l'Homme : mari, père, frère, beau-père, amant... à lui tout seul. Elles ne se tapent pas dans les ti­bias, ne se font pas de crocs-en-jambe, ne s'envoient pas au visage des répliques cin­glantes et ne se crêpent pas le chignon. Par contre, elles dispensent beaucoup de ten­dresse. Et quand elles se retrouvent toutes ensemble dans un dernier texte, c'est par amitié pour une autre femme (Rita) et en « bords de mères ».

Si ce jeu de mots peut paraître éculé (autant que le fameux « mal de mère »), dès qu'on le déploie, il révèle nombre de sens motivés (sans oublier que certains nous échappent probablement) : le texte qui porte ce titre se déroule lors d'un week-end à la mer ; toutes les femmes y ont des enfants ou presque ; l'une d'entre elles accouche ; elles sont venues avec leurs histoires (cicatrices) amoureuses en laissant leur progéniture à la maison... Cette Rita autour de qui elles se réunissent possède un bien précieux qui échappe à toutes : un mari qui la comblait. Et même s'il ne lui offrait son cadeau de Noël qu'un peu avant Pâques (le personnage s'appelle d'ailleurs Noël Pâques — oui, peut-être que là c'est exagéré !), s'il ne s'occupait ni du mé­nage ni des enfants, s'il pesait 130 kilos, elle n'avait rien à lui reprocher : « chaque jour de notre vie commune, sans exception, il me pressait un jus d'orange au déjeuner, mais plus que tout, les filles, j'ai toujours vu, dans son regard, son désir de moi. J'ai toujours été, à ses yeux, la plus belle, la plus désirable. Chaque fois qu'il me touchait, je tremblais de ça. Les grands émois que vous cherchez, je les avais, avec lui, au quotidien, pour un geste ou un regard, pour un mot sur un bout de pa­pier... » On l'aura remarqué, Rita parle à l'imparfait : Noël Pâques est mort un an plus tôt. Les autres ne comprennent pas pourquoi elle ne se remet pas en quête. Ne compren­nent pas qu'il lui suffit d'avoir aimé et d'avoir été aimée plus que tout au monde. Que ce qu'elle veut aujourd'hui, « c'est juste des pe­tits moments tombés du ciel, où personne n'a besoin de toi ». Les autres femmes désirent qu'on ait besoin d'elles. Elles souffrent d'incomplétude, de frustration, d'insatisfaction. Chacune à sa manière, dans des proportions variables. Mais toujours à cause de leur homme. Peut-être qu'un amant pourrait ar­ranger bien des choses ? Oui mais ça griffe l'intégrité. Heureusement, les circonstances joueront souvent en leur faveur. La naissance d'un veau dans les odeurs d'étable, une xième première-dernière cigarette le long d'une voie ferrée, l'acquisition d'un appareil photo nu­mérique peut provoquer l'émoi qu'elles at­tendaient, ou pas... Un homme sera là. Un homme qui sait y faire, comme on dit. Dans chacun des textes, une de ces dames est mise à l'avant-plan. Eva Kavian est pour l'égalité des femmes. Dommage que cer­tains textes (et surtout l'ensemble) soient un peu tarabiscotés. Nous perdent dans l'inutile. Comme si l'écrivaine avait voulu trop bien faire. Pourquoi ne s'est-elle pas contentée d'un véritable recueil de nouvelles, pourquoi s'est-elle embarquée dans cet assemblage romanesque aux coutures trop ap­parentes — les personnages font de temps en temps une apparition pour affirmer la cohérence de l'ensemble ? Cela distrait la lecture plutôt que de renforcer, multiplier, diffracter le(s) sens. De plus le narrateur semble changer d'un texte à l'autre. On s'interroge à chaque fois sur son identité et là : frustration. Que ce soit lui (elle) ou un(e) autre, cela n'aurait rien changé. Il est évident qu'Eva Kavian possède de réels talents d'écrivaine, qu'elle a une perception aiguë des blessures féminines, qu'elle a des choses à dire aux femmes ET aux hommes. Seulement, un peu plus de simplicité narra­tive lui sied davantage comme elle l'a déjà montré dans son très beau premier roman (Après vous, Le Hêtre pourpre éditeur) qui ne s'embarrassait pas de prouver quelque sa­voir-faire romanesque.

Michel Zumkir