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Critiques de livres


Jean-Claude PIROTTE
Autres arpents
La Table ronde
2000
158 p.

« Paysage, paysage, mon seul souci peut-être... »

Pirotte remet sans trêve ses pas dans ses pas. Il revisite des lieux. Evoque les noms des lieux — la Bourgogne est-elle une fiction, un art, un vin ? Voici la terre. Le ciel. Surtout les ciels. Les reliefs, combes, collines, coteaux. Les saisons. Le vent. Les merveilleux nuages. La paresse. Le nonchaloir. La flânerie. La rêverie bachelardienne. La nostalgie, la mélancolie, l'absence, la soixantaine, la solitude, la soie griffée (dégriffée ?) du souvenir. Les relec­tures et les citations — incitations à lire. Les vins. Les alcools et la part des anges à Cognac. Les paysages, les Meuses, les Hol­landes, les Bourgognes, les Angoulêmes, les Picardies — et Montolieu, dernière halte provisoire. Les peintres de paysages. Surtout pas de pittoresque — quand bien même on aurait, c'est amusant, découvert que les sept premières lettres de cet adjectif composent l'anagramme de Pirotte. Casser le ronron, comme dirait l'autre. « Je n'ai pas la tripe touristique... » II y a des guides pour ça ! Il n'empêche, allons-y à la Joseph Prudhomme : c'est un œil de peintre qui tient la plume. Et bouscule, cul par-dessus tête, la perspective : dans la baie de Somme, « ce pays c'est, en somme, la peinture incarnée ». Fort bien. Ce serait donc toujours la même chose. Et Pirotte n'est décidément pas un romancier. Il en convient depuis toujours. Il n'empêche : on se laisse prendre à tant de « belles images » sans se demander com­ment et de quoi elles sont faites. Un exemple : je tiens les neuf pages du hui­tième texte de ce bref recueil, « Inventer Lisbonne », pour les plus belles, les plus fré­missantes quand elles disent à la fois la fa­miliarité et l'étrangeté d'une ville, inoubliable et oubliée, où il arrive qu'une hor­loge tourne à l'envers. Lisons : « Et puis le vent tournoie, qui réveille l'odeur d'épices et de marée, depuis si longtemps perdue (était-ce donc un rêve ?), une odeur, je ne parle pas de parfums, rien n'est parfumé, tout est rageusement odorant, rugueusement terrestre et maritime, rien, cette es­pèce de bonheur affreux et brûlant que bri­sent et relancent les tramways, comme si nous avions besoin d'eux pour installer les trafics entêtés de nos destins factices. » Odeurs, bruits, la vie n'est qu'un songe hé­téroclite, une disparate, quand l'entonnoir et le filtre de la mémoire s'accordent à jouer de pendables tours (« II n'y a de trésor que perdu »). Jusqu'à ce que ne subsiste que ce « rien » inlassablement traqué par Pirotte, son pousse-à-écrire ; un rien, un trois fois rien qui se transmue (dans l'athanor de ce qu'il faut bien appeler de ce mot galvaudé : le style) en tout.

Pol Charles