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Critiques de livres


André ROMUS
Avril sous roche
Ed. Phi
coll. Graphiti
2001
150 p.

Le sage amoureux et le vertige du non

Ce que j'avais lu jusqu'ici de la poésie d'André Romus, auteur d'une quin­zaine de recueils, m'avait laissé une impression de sagesse ironique à mi-chemin entre le haïku et les Motifs de Guillevic. Le dernier recueil du poète, Avril sous roche, m'oblige à revoir ce jugement. « Aux para­dis de plâtre / à leurs anges asexués / je pré­fère l'enfer de mes feux », écrit-il au cœur de ce livre où la sagesse laisse place à la plus belle des folies : la folie amoureuse. C'est un fait à souligner car, de nos jours, l'amour se fait rare en poésie, surtout sous l'aspect qu'abordé ici André Romus, celui de la douleur, qui inspirait déjà les troubadours médiévaux et qui fit couler des larmes d'encre aux romantiques. Mais s'il reprend ce thème romantico-classique, André Romus utilise les techniques littéraires de la modernité, ce qui donne lieu à un résultat original, où le plaisir ludique des mots prime sur l'épanchement sentimental. Plus connotatifs que dénotatifs, ses vers sont truffés de métaphores qui, en s'accumulant dans des phrases nominales, semblent s'éloi­gner de leur réfèrent au lieu de le qualifier. A ce parti-pris métaphorique s'ajoutent de nombreux jeux de mots. Un calligramme très simple figure le moment ultime de la sé­paration : la disposition du texte mime l'as­censeur où elle a lieu. Enfin, l'histoire se dé­roulant à Montréal, André Romus se plaît à tresser habilement les thèmes de l'éloignement géographique et de la distance senti­mentale en jouant sur le mot « nord » (« Perdre le nord en toi », « Où / le nord / si ce n'est au midi de toi ») ou sur l'espace et le temps : « Décalage horaire/ qui bientôt dans l'espace et le temps / autant que l'âge te déchirera de moi / — si proche et si lointain — / quand à nouveau tu t'offriras / aux clar­tés charnelles de l'après-midi / et que déjà de toutes parts / me cernera la nuit ».


André SCHMITZ
Lettres à l'illettrée
Ed. de l'Acanthe
coll. Terre amarante
2001
36 p.

Tout le recueil n'est cependant pas consacré à l'amour et certaines de ses parties sont franchement humoristiques, notamment un poème anagrammatique qui n'aurait pas déplu à Alphonse Allais. Non content d'être poète, André Romus est aussi directeur, aux Editions de l'Acanthe, de la collection Terre amarante, créée par Henri Falaise et constituée de jolis petits livres gau­frés, à la fois courts et denses. Le dernier titre paru est Lettres à l'illettrée d'André Schmitz. Il contient douze poèmes construits sur le vertige de la négation. Ces textes fourmillent en effet de phrases à la fois positives et néga­tives, où les choses embrassent leur contraire, de sorte que le lecteur se trouve tout à fait libre face au sens : « Nous écrivons à l'illet­trée / des lettres blanches » ; « II vous fait sa­voir par lettre illisible / que rien de ce qu'il vous dit / n'est à garder, / ni en vous ni en dehors de vous » ; « m'écrivez-vous en dehors de toute écriture » ; « des mouvements à ne pas fixer / et des cris à ne pas écrire » ; « des langages dépouillés / de phrases, d'accents, / et même de sens ». Ce vertige est encore am­plifié par le dernier poème, qui confond l'au­teur et son destinataire : « Les illettrés, / c'est nous. » Ces douze poèmes constitueraient-ils une manière d'art poétique ?

Laurent Demoulin