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Critiques de livres

Luc Baba
La petite école Sainte-Rouge
Avin
Éditions Luce Wilquin
2007
146 p.

Un peu de craie dans l'encrier
par Thierry Detienne
Le Carnet et les Instants n° 149

Luc Baba a le talent et l'activité multiples. Et il aime à rappeler qu'il est entre autres choses enseignant. Pour son dixième ouvrage, il pousse la porte d'une école aux contours tout à la fois proches et singuliers. Paul Lambion découvre la classe où il donnera désormais cours sous l'œil des méduses qui flottent doucement dans de grands tubes transparents, à l'ombre du souvenir tenace de celui qu'il remplace. Ici, il y a deux grands clans, à la mesure des opinions qui se déclarent, que l'on opte pour la Chapelle ou pour la salle du Manifeste. On jure fidélité au Roi et une fois les formalités faites, on s'apprête à affronter le regard des élèves qui ont plus d'un tour dans leur sac. Lambion chausse les pantoufles de son prédécesseur mystérieux et reprend à son compte un cours de philo aux allures de testament et parsemé de questions sans réponses qui sont autant d'occasions de distiller le temps. Trop simple tout cela. Voici que le nouveau venu est chargé d'une mission d'enquête par le directeur et que le calme relatif est rompu. Le grenier est animé de présences inconnues, un incendie éclate, une élève se suicide, des chiens policiers reniflent les mallettes en quête de poudre blanche et le temps de l'école mord celui de la vie privée. Le doute, cette posture qui devrait animer le cours, s'infiltre dans la vie même de celui qui énonce les questions. Comble de tout, le cours de philo clé sur porte élaboré par son prédécesseur s'avère repris intégralement d'un vieil ouvrage sur lequel Lambion met la main. Tout ne serait-il que mensonge? Les questions se bousculent et renvoient leur écho. Paul a déjà largué les amarres. Mais avant de partir, il sème le trouble dans ce petit monde au sein duquel il passe encore pour un naïf. Dans sa vie privée, nul refuge. Là aussi, tout lui paraît désormais sans saveur. Il s'éloigne de sa compagne et se rapproche d'une collègue à mesure que s'estompent les repères. Il fréquente un café où il trouve une compagnie de courte durée. Et lorsque le congé scolaire de la Toussaint approche, il prend des allures de vacances qui n'auront pas de fin. Cette lente destruction ne saurait masquer le plaisir évident et premier que Luc Baba trouve à évoquer le monde des écoles. Ni libre ni officielle, La petite école Sainte-Rouge est un concentré du tout. On y croise des profs forcenés de l'ordre et des poètes dans le grand désordre des bâtiments surannés. Ceux qui doutent et qui vacillent sont des oiseaux pour le chat tant le malaise gagne la classe. «Ils mettent dans leurs rires des ciseaux, de la boue, des couronnes d'épines. Une estrade, ce n'est pas grand-chose, pas cher, et puis c'est là comme un cadeau les matins difficiles, on y attend l'heure d'un peu loin, la sonnerie qui balaie au large les rires coupants.» Noir, le tableau? Pas vraiment. Luc Baba a le sens du détail qui fait mouche et qui supplante le malaise, l'incongru déboule en renfort qui permet d'échapper au pire et clôt le récit en demi-teinte, laissant le lecteur en suspens.