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Critiques de livres

Evrahim Baran
La septième ville
Bruxelles
Maelström éditions
2006

Un voyage au parfum de jacinthe
par Laurence Vanpaeschen
Le Carnet et les Instants n° 144

Dans son nouveau roman, La septième ville, Evrahim Baran emboîte le pas d'un narrateur qui découvre sur une brocante une série de livres et de manuscrits de la fin du dix-neuvième siècle, tous en persan, sa langue maternelle. Le brocanteur, ancien militaire alcoolique, les tient de sa grand-mère, Iranienne exilée seule à Bruxelles avec sa fille, qui deviendra putain, et dont le militaire ne garde qu'un souvenir honteux et quelques photos.

Un des manuscrits, écrit précieusement sur des pages cousues à la main, est signé Shirine. Il s'agit à n'en pas douter de la grand-mère perse, que le narrateur imagine traçant dans l'encre bleue son seul héritage, «le vide des illusions perdues». Il retravaille ce manuscrit bouleversant mais décousu, et nous offre «les mots d'une femme, une grand-mère, une inconnue, une étrangère, une amoureuse», pressentant qu'elle lui pardonnerait cette intrusion, et qu'elle consentirait à partager avec les lecteurs ce «voyage au parfum de jacinthe», dont «la destination est la septième ville d'amour».

C'est un récit d'initiation, celle d'un tout jeune homme, Mola, dans la petite ville perse de Shahbaz, où il évolue entre sa famille de tradition soufie, et l'enseignement dispensé par les musulmans traditionalistes, au cœur des tensions spirituelles et économiques qui divisent les deux communautés. L'adolescent est nourri à plusieurs enseignements et structures de pensée. Son oncle, garant du khangah, lieu de culte soufi, lui apprend que «la meilleure façon d'apprendre la politesse est de côtoyer les impolis» et l'envoie donc étudier à la mosquée. Son père, architecte renommé et coutumier des rois, tourné vers les progrès de l'Occident, encourage son fils à choisir de suivre librement ses idées, dût-il lui en coûter un parfait décalage avec sa société. Un sage derviche lui enseigne la nécessité de chercher sans cesse le moyen «d'améliorer la condition de vie de ses semblables». Shirine, qui brave le clan musulman pour l'aimer, l'accompagne sur le chemin du doute et du savoir dans les tourments politiques et religieux qui vont miner Shahbaz. De la guerre larvée qui gronde entre la mosquée et le khangah, et qui se cristallisera un temps sur leur amour interdit, à l'arrivée des réfugiés arméniens persécutés dans les contrées ottomanes, et que l'intolérance de Shahbaz livrera à l'épée des Cosaques, les deux jeunes gens vont se construire ensemble, jusqu'à leur départ, inévitable, vers la capitale où leur potentiel pourrait s'épanouir. C'est là, dans la tourmente politique qui embrase le royaume, que Mola franchira les portes de la Septième Ville, celle où l'on se met à la disposition des autres. «Le Désir du départ se transformait en passion, puis glissant vers la Connaissance, la Générosité, l'Harmonie et ensuite l'Etonnement. La septième était qualifiée d'Abandon, de Misère et de Dénuement. Etrange aboutissement de l'Amour...».

L'histoire ne dit pas comment Shirine s'exilera en Belgique ni pourquoi son récit s'arrête à la mort de son aimé. Elle nous laisse sur un parfum de papillon, dont il faut, comme disait un poète persan, «admirer la douceur d'un vol qui ne durera que le temps d'un soupir ou d'un sourire et surtout ne jamais s'aviser de le prendre entre les doigts».