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Critiques de livres

La foire de la petite reine

La littérature dramatique de ce pays devra sans doute beaucoup à Saint Bruno et aux architectes de son ordre monastique. Piemme, en effet, Michelle Fa­bien, Francine Landrain, Louvet ont tous profité des conditions favorables procurées par un séjour à la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon pour écrire une pièce. C'est au­jourd'hui au tour d'Anita Van Belle de nous proposer le fruit de ses entrées dans la grande famille des écrivains soutenus par le Centre national (français) des Lettres, avec Belgicae, le projet — une comédie — qu'elle a mené à bien durant la saison 91-92. Belgicae : c'est dire que l'histoire se passe quelque part, même si le Père Ubu a posé le glyphe de son croc à phynances sur ce burlesque jeu du pouvoir où l'on voit les trois députés Germi (gant de fer), Walli (crête de coq) et Flami (queue de lion) se disputer l'avenir d'un pays imaginaire pour la raison que l'inconduite du Champion cy­cliste national crée un désordre intolérable. Ce roi de la petite reine a dit merde, en effet, et sans épenthèse. en dérapant sur la ligne d'arrivée d'une course prestigieuse ; en outre il aime, en dépit des lois, une belle étrangère. Voilà tout le scandale : et le Grand Chambellan, et le journaliste d'Etat, un benêt qui n'y comprend rien, et le Pre­mier ministre lui-même s'en affolent. Au panthéon des comédies, il est un autre auteur pour veiller sur le texte de Van Belle : Monsieur de Marivaux, qui prête ses masques aux personnages de la pièce afin qu'ils puissent, sans se faire reconnaître, sonder le cœur de celui ou celle qu'ils ai­ment. Ainsi voit-on le champion cycliste se déguiser en jeune fille dont les mollets ne trompent personne pour mieux approcher la mentalité de la gent féminine : ainsi une jeune chocolatière prend-elle l'apparence d'un chocolatier pour tenter de conquérir son aimé, qui bien sûr en aime une autre. Il faut dire qu'on trouve des mines de cho­colat, dans ce pays imaginaire, et tout un bon peuple pour en extraire du fond des puits la précieuse matière brune. A ce point intervient une troisième instance dramaturgique : la vox populi d'un certain théâtre militant. Dans la bouche des chocolatiers, l'auteur met des paroles de révolte, qui mal­heureusement résonnent de manière lourde­ment poujadiste. Face à un état que les trois députés s'ingénient à morceler en 3 fois 333 lopins, la pièce défend la thèse d'un bon­heur dans l'unité retrouvée, au nom d'un esprit populaire prétendument immortel (« Tu ne pourras jamais me tuer ! Jamais ! Je suis Renard le Rusé, je suis Thyl l'Espiègle, je suis Jeanne la Folle » — etc.. jusqu'à Godefroid de Bouillon, pour ne pas faire de ja­loux). Ebranlée un moment par le mora­lisme du propos, l'écriture farces que ne reprendra ses droits, à la fin, que par l'inter­vention pacifiante d'une Reine de fête fo­raine.

Le théâtre politique a ses règles, et le pre­mier écueil qui le menace est le ton dé­monstratif. A vouloir jouer au louveteau, dans son prêche van belgicain. la drama­turge arrive juste à prendre l'air d'une girl scoute dont les vains idéaux' et leur tour empoté peuvent bien partir d'un bon senti­ment : ils n'en paraissent ni plus justes, ni plus convaincants. C'est dommage, car son texte est mû par un souffle ludique et liber­taire qui offre de belles virtualités sec-niques. Il permet d'explorer l'imaginaire du corps en jouant la liberté du désir, dans une langue, lyrique ou acérée, dont les effets font souvent mouche. Son jeu sur les références dramatiques autorise en outre le plaisir d'une lecture décalée qui ravira les amateurs.

Edité à l'usage des gens de théâtre dans une collection qui s'intitule « Première impres­sion », Belgicae se présente comme « a work in progress ». Espérons que s'en emparant prochainement, quelque metteur en scène obligera cette comédie à aller jusqu'au bout d'elle-même.

Carmelo VIRONE

Anita VAN BELLE, Belgicae, comédie, Centre National des Ecritures du Spectacle, La Chatreuse, coll. Première impression, n° 7. 1992. A. Van Belle signe par ailleurs le scénario de Pardon Cupidon, réalisé par Marie Mandy.