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Critiques de livres

Alain Berenboom
Le goût amer de l'Amérique
Paris
Bernard Pascuito éditeur
2006
200 pages

Qu'est-ce qui fait courir Jimmy?
par Christian Bréda
Le Carnet et les Instants n° 143

Georges Malgudi ne saura sans doute jamais pourquoi l'envie le prit un soir d'écrire une biographie de James Stewart. Est-ce par désœuvrement ou désir de trouver refuge dans l'imaginaire? Un geste de piété filiale envers son grand-père Léo, sympathique doux-dingue qui se sustente exclusivement d'alcool de genièvre et d'omelettes mangées debout directement dans la poêle, et ne jure que par le vieil Hollywood et le temps heureux des cinémas de quartier? Ou bien ce grand timide trouve-t-il dans la figure tutélaire de Stewart, faux candide qui savait jouer génialement de sa gaucherie, un modèle et un soutien réconfortant dans l'adversité? Difficile, quelle que soit l'admiration qu'on leur porte, de prétendre s'identifier à John Wayne ou Gary Cooper. Mais à Stewart on peut, tant il semble l'incarnation idéale de l'homme moyen.

Cependant, en poursuivant son enquête, Georges découvre une vérité plus complexe. La longévité de la carrière de Stewart lui permit de prêter sa silhouette dégingandée aussi bien aux fables optimistes de Frank Capra qu'aux âpres westerns d'après-guerre d'Anthony Mann, où commencent à se lézarder les certitudes de la nation américaine; de passer de la foi tranquille dans ses valeurs fondatrices à leur interrogation pensive (L'homme qui tua Liberty Valence) et leur mise en doute radicale (Autopsie d'un meurtre). L'âge d'or n'était pas si doré, après tout. Et par ailleurs, la personne privée de Stewart, puritain bigot confit en dévotion, défenseur de la guerre du Viêt-Nam, soutien politique de Nixon et ami du couple Reagan, présente un contraste inconfortable avec son aura cinématographique. Quelle morale en tirer? Tout s'embrouille.

Dans la vie de Georges, rien n'est simple non plus. Il multiplie les petits boulots, de la livraison du pain à la collecte de petites annonces en passant par le travail dans un shop around the corner et le transport de marchandises douteuses. Il aime une fille trop belle pour lui, Louisa, dont il se demande ce qu'elle lui trouve et qu'il craint de perdre à tout moment, d'autant plus qu'elle s'entoure de mystère et lui cache bien des secrets. Entre les escapades de Léo, les grandes colères de son ami Ahmed, les quiproquos divers et les démêlés avec la police, Georges s'agite en tout sens et ne sait plus où donner de la tête. Qu'aurait fait Jimmy à sa place?

A la façon d'un Billy Wilder alternant le noir et le rose, la charge corrosive d'Un, deux, trois et la tendresse de Sabrina ou d'Ariane, Alain Berenboom délaisse ici l'encre vitriolée du satiriste pour observer avec affection et un humour bienveillant une galerie de personnages attachants. Le livre évite avec finesse les poncifs habituels sur les rapports entre la vie et le cinéma, au profit d'un jeu de miroirs et d'échos allusifs, souvent source de drôlerie : témoin l'expédition à la recherche du grand-père fugueur qui se conclut en western urbain quasi onirique, lorsqu'une improbable cavalerie survient à la rescousse! On regrette du coup que Berenboom n'exploite pas suffisamment les possibilités offertes par les nombreuses pistes, vraies ou fausses, lancées en cours de route – de la double vie de Louisa au mystérieux épisode devant le siège des établissements Davos. Avant de les récompenser d'un happy end bien mérité, les scénaristes hollywoodiens ne manquaient pas de semer les embûches sous les pas de leurs héros, pour mieux les en faire triompher. Les obstacles ici manquent un peu de consistance, de sorte que cette fantaisie plaisante laisse un goût d'inachevé sans cesser d'être d'une lecture agréable.