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Critiques de livres

Rémi Bertrand
La Mandarine blanche
Éd. du Rocher
Monaco
2005
80 pages

Mourir, et avant?
par Jack Keguenne
Le Carnet et les Instants n° 143

Venant après un essai sur Philippe Delerm – que je n'ai pas lu –, on pouvait s'attendre à ce que ce premier roman de Rémi Bertrand reste proche d'une manière que le maître ès premières-gorgées-de-bière a instituée : une écriture limpide et une lucidité sur le réel qui note au plus juste, de manière cristalline, les événements tenus qui constituent le quotidien. Rémi Bertrand essaie de rester dans la lignée de ce que je suppose être son mentor, mais…

Jonathan Demain est encore un petit garçon quand sa mère l'emmène à l'hôpital – même si c'est pour le laisser dans la salle d'attente – pour aller voir son mari, dont on comprendra plus loin qu'il ne s'en sortira pas et qu'il sera euthanasié. Cela crée pour Jonathan une étrange familiarité avec ces lieux et ceux qui les habitent, les malades, les médecins, les infirmières. Ce qui, semble-t-il, ne l'empêchera pas de grandir sans s'en préoccuper, de mener une vie de petits boulots anodins, jusqu'à retrouver l'hôpital sous une autre forme. Entre-temps, Jonathan aura compris, et gardé comme une mythologie personnelle, que les médecins ne sont pas toujours très clairs dans leurs explications et qu'il existe des fées qui s'occupent des malades, dont certaines sentent la mandarine… Hélas, le malheur voudra qu'il connaisse – ou appelle – la même fin que celle de son père car un accident ne lui laisse plus que la liberté de penser, aucun mouvement ne lui est désormais possible…

Présenté (en quatrième de couverture) comme une fiction sur l'euthanavie, ce court roman ne fait, après lecture, pas forte impression et laisse, au contraire, le sentiment que l'auteur est passé à côté de son sujet. C'est que Jonathan Demain n'est pas détaché du réel (comme chez Delerm, on peut sembler en retrait), mais semble plutôt absent de lui-même : l'enfant parle avec un vocabulaire trop savant et l'adulte a une structure puérile. S'agit-il d'enfantillages ou d'une manière de créer un rapport touchant? On jugera, mais le comportement de Jonathan, entre légéreté (la mort de son père paraît anodine) et implication (son aspirateur a reçu un nom), brouille le propos. Bertrand se plaît à des jeux de mots douteux, force le trait sur certains personnages, s'égare dans des longueurs, s'écarte du réel pour donner dans le fantastique (la vision de la mère dans l'hôpital) ou le burlesque (une carrière de chimiste évoquée devant un patron attentif qui va l'engager comme… technicien de surface), ou, encore, commet des erreurs de chronologie… Et l'euthanasie, qui serait le sujet du livre? Et bien, elle n'est proposée qu'aux bons soins de la morale du lecteur car l'auteur l'évite…

Du reste, il y a une qualité et une sérénité d'écriture qui captive; on se laisse emporter par les phrases et ce n'est que rétrospectivement qu'on s'interroge… Espérons que la prochaine fois, ce jeune auteur valorise son propos et délaisse sa recherche d'effets au bénéfice de la profondeur.