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Critiques de livres

Jean Claude Bologne
Qui m'aime me suive. Dictionnaire commenté des allusions historiques
Illustrations d’Emmanuel Pierre
Paris
Larousse
coll. Le Souffle des mots
2007
304 p.

Suivre l'Histoire aux traces...
par Isabelle Roche
Le Carnet et les Instants n° 150

Si l'historicité des pyramides du haut desquelles «quarante siècles vous contemplent» est encore perceptible, il en va différemment pour d'autres locutions – par exemple quand on déplore telles mesures «draconiennes», que l'on «brille par son absence» ou que l'on «fait la queue». Pourtant, l'Histoire est là : ces décrets austères renvoient à un législateur de l'Antiquité, l'absence remarquée doit sa brillance à Cassius et à Brutus, et l'on devrait songer à Robespierre chaque fois que l'on se glisse dans une file d'attente. Mais l'usage a atténué, sinon effacé la dimension historique de ces expressions qui se sont répandues au point de devenir des réflexes de langage pour la plupart des gens.

Restaurant ici l'historicité oubliée de telle locution, rappelant ailleurs des anecdotes connues qu'il étoffe de détails savoureux, Jean Claude Bologne invite, avec ce Dictionnaire, à un voyage culturel enrichissant et distrayant, où les surprises abondent – parmi lesquelles on retiendra que la mayonnaise a des origines militaires, et que la «césarienne» a bien un rapport cavec l'auteur de la Guerre des Gaules.

Dès l'avant-propos, Jean Claude Bologne précise qu'en matière d'allusions, il importe de rendre à chacun – à l'Histoire, au mythe, à la littérature, à la Bible... – ce qui lui revient. Ici, justement, on ne rendra rien à César : l'habituelle restitution se réfère à la Bible, non à l'Histoire – cette expression est donc évoquée dans Au septième ciel, du même auteur, dans la même collection. La part la plus délicate du travail de Jean Claude Bologne aura sans doute été de déterminer son corpus d'étude. Il a d'abord limité ses choix aux expressions restées vivantes : toutes celles qu'il a retenues ont été collectées dans des supports à la fois très contemporains et de très large diffusion – en attestent les exemples qu'il cite, puisés dans la presse écrite, les sites internet, les blogs... Parmi les locutions ainsi sélectionnées, il a conservé celles qui ont pris une valeur métaphorique et ont cessé de ne se référer qu'à la chose historique elle-même. Puis il a écarté celles contenant des allusions non plus historiques stricto sensu mais littéraires, scientifiques, bibliques ou mythologiques : tâche difficile quand le point de référence s'est perdu au gré de diverses déformations et que la légende s'est confondue avec la réalité. Il a enfin dû s'imposer un seuil chronologique à ne pas dépasser, et distinguer ce qui relève de l'Histoire de ce qui n'est encore que de l'ordre de l'actualité : «La frontière entre Histoire et actualité, difficile à déterminer, est fatalement arbitraire. [...] J'ai arrêté la collecte à 1969, qui a marqué une rupture dans l'histoire française et qui correspond à la retraite du général de Gaulle, dont les mots appartiennent à l'Histoire et non à la politique.»

Une fois le corpus établi, restait à classer tout ce matériau – élire le mot clé sous lequel allait être rangée chaque locution, décider si une entrée à part entière lui serait consacrée ou bien si elle allait être rejetée en annexe... La structure lexicographique étant très contraignante, on imagine combien a été drastique la ligne de conduite rédactionnelle que l'auteur s'est imposée. Il s'en est, en tout cas, accommodé avec beaucoup d'habileté : son livre est facile à consulter, et la stricte obéissance aux critères énoncés en introduction force le respect. Quant au style, au ton général, ils sont délectables, et vastes les domaines explorés à l'entour des expressions commentées.

Sans doute le premier geste de qui s'empare de ce dictionnaire sera-t-il de faire défiler les pages en cascade, tâchant de repérer dans leur course les caractères gras des expressions familières pour s'y arrêter et voir si en effet derrière la familiarité lui sont révélés l'inconnu et l'étonnant. En quelques arrêts sur formule, le temps d'un rapide examen de surface, on perçoit l'humour fin de l'auteur, la précision toujours élégante et sobre de son style, son art de nourrir d'érudition un propos à la fois instructif, accessible et souvent drôle. Au fil de la lecture, on est séduit par la manière très narrative dont sont dispensées les informations et par les anecdotes qui les accompagnent. L'ouvrage cesse alors d'être un usuel que l'on consulte par nécessité : oubliant la seule quête de données philologiques on finit par lire Qui m'aime me suive comme un recueil de nouvelles, de la première ligne de l'avant-propos jusqu'au point final de la dernière entrée, abandonnant à leur fonction strictement utilitaire les index, la bibliographie et la table des matières. Le pur plaisir littéraire prend vite le pas sur celui d'apprendre...