pdl

Critiques de livres


Serge MEURANT
Brasier de neige.
La Différence
1993
146 p.

Les outils inutiles

En une vingtaine d'années, Serge Meurant a écrit dix brefs recueils de poésie dispersés chez plusieurs éditeurs. L'occasion est donnée à ceux qui n'ont pas eu la possibilité de le suivra pas à pas de découvrir ses textes, rassemblés par les Editions La Différence. La poésie de Serge Meurant déconcerte. Ce n'est pas une question de langage. Le travail sur la langue ne touche pas à l'intégrité du mot même si sa plasticité est exploitée par le poète dans les rapprochements de sons, dans l'utilisation de rythmes différents sus­cités non pas par la métrique mais par ces confrontations sonores, ou encore dans l'ef­fort de concision. Ce serait plutôt l'enjeu de la démarche poétique qui déconcerte, fabri­cation d'« outils inutiles ». Serge Meurant voit sa poésie non pas comme avènement d'une vérité mais comme détour, obscurcis­sement dans lequel le lecteur se perd un temps. Cette volonté d'aveuglement, de perte dans le labyrinthe (l'image en revient souvent) ne laisse cependant pas démuni celui qui lit. Au passage, des méandres, des chemins de traverses se sont multipliés, ou­verts par les mots et les images qu'ils susci­tent, S. Meurant procède par métaphores, soit répétées, soit isolées, condensations. Celles-ci trouvent leur accomplissement dans l'oxymore, rapprochement de deux termes dont les signification paraissent se contredire. Ce sont à chaque fois des noyaux du texte et le titre même du recueil, Brasier de neige, est de cet ordre. A partir de ces apparentes contradictions, non résolues, l'univers textuel du poète peut être brièvement décrit. La rupture y occupe une place prépondérante ; faille, démesure qui émane de la douceur « Heureux/les doux/insoumis/indociles/la foudre les tient par la main. » La réalité quoti­dienne est double : sous son apparence calme, elle recèle la possibilité du tourbillon qui emporte les points de repères habituels, renverse la perception et instaure les para­doxes. Cela entraîne une modification du regard qui vacille et se défouit dans l'impos­sibilité de percevoir les oppositions. Au confluent de ces images récurrentes, on re­trouve le poète amateur de mots ; tour­billon et regard ont un signifiant en com­mun : l'œil. L'œil du tourbillon est ce lieu paradoxal, à la fois point le plus calme et cause de la tourmente qui l'entoure. La tourmente qui le dépasse contraint l'indi­vidu à la passivité. Aucun sujet énoncé — ou à peine. L'expérience se fait en dehors, indépendamment de la subjectivité. Cela se marque linguistiquement par la fréquence de la forme pronominale du type « la neige se dévore ». Autre caractéristique de la langue : la répétition du préfixe « in- » (in­dicible, inaudible, invulnérable, incandes­cent) chaque fois que la démesure du tour­billon est évoquée.

Si elle est souvent abstraite quand elle parle du basculement de l'expérience, la poésie de Serge Meurant peut être étonnamment concrète, et pourtant concise, dans l'évoca­tion de moments de la vie : mort du père, naissance de Sara, maladie de l'enfant au Portugal, rencontre toute en contraste de sa fille et d'un zonard se nourrissant de contradictions et d'oppositions. Le texte y entraîne jusqu'au bout son lecteur : « Ici tout est saccage/rien n'est clos ».

Joseph DUHAMEL