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Critiques de livres


Amélie NOTHOMB, Kikie CRÈVECŒUR
Brillant comme une casserole
La Pierre d'Alun
1999
80 p.

Sorcière, sorcière...

Turlututu chapeau pointu : la sorcière Amélie Nothomb et la sorcière Kikie Crèvecœur ont conjugué leurs dons pour le meilleur des plaisirs d'enfance : avec Brillant comme une casserole publié à la Pierre d'Alun, les textes ambigus de l'une se reflètent en miroir d'aluminium dans les vi­gnettes énigmatiques et les portraits ellip­tiques de l'autre. A notre grand bonheur et celui de nos chères petites têtes pas blondes, fascinées par cette rencontre même si elles sont déjà initiées par ailleurs aux railleries numériques et aux beautés parodiques des Simpsonneries et autre South Park folies. Brillant comme une casserole ne manquera pas de séduire aussi les bibliophiles qui trouveront dans ce trente-sixième titre de la collection « La Pierre d'Alun » le livre rare qu'ils aiment se mettre sous la dent, papier épais, non relié, gravures sur gomme origi­nales, écriture à nulle autre semblable, dé­tournée de ses stupeurs et tremblements sans y perdre aucunement la magie du verbe. Bien au contraire.
Trois histoires à contrepied des féeries gnangnan jouent ici le grand jeu anti-cli­chés, ironie et dérision à l'assaut des conventions du genre. Un mot magique : peut-être. Peut-être que la légende est chi­noise, peut-être que le Hollandais de cette fin de vingtième siècle n'est plus volant mais bien ferroviaire, peut-être qu'un verre de bordeaux suffit à transformer un sériai killer en esthète du crime, buveur d'ab­sinthe, mangeur de fleurs et lecteur de Bau­delaire et de Wilde. Peut-être. Imaginez votre vie avec une cohorte de « peut-être »-sésames et évadez-vous du quotidien avec Amélie Nothomb, écrivaine douée et certai­nement un peu, beaucoup, sorcière.
La Légende peut-être un peu chinoise passe une serpillière de vitriol sur Cendrillon, Peau d'âne et la Belle et la Bête. Finie, obso­lète, la course à la beauté. Rangée au pla­card. Dans un Palais des Nuages où, il y a 10 234 ans, vivait le sublime Prince Pin Yin, c'est la laideur qui fait recette : « même les aspirines que le prince avalait pour ou­blier la beauté étaient belles comme des perles fines. » Quel ennui ! Quel ennui de­vant des plats si beaux qu'on ne peut les manger, devant des jardins si parfaits qu'on n'ose s'y promener. Et quel désastre, lorsque le peintre Tchang ramène au Palais les portraits de dizaines de demoiselles plus jolies les unes que les autres, parmi les­quelles le Prince doit choisir sa future épouse. Le Prince Pin Yin se sent plus mou et triste que jamais devant tant de beauté. Cent princesses plus que parfaites... Sauf... Ah, mais, le dernier portrait, ne serait-ce point le vôtre ? Vous avez toutes vos chances si on en croit le reflet de ce miroir subtil que la perfide Kikie a glissé à la suite des œuvres édulcorées du peintre Tchang. Nous vous laissons deviner la suite... Le deuxième conte prend ses quartiers dans le compartiment antédiluvien du train pa­léolithique Paris-Bruxelles avant qu'il ne devienne TGV. Que peut-il bien arriver dans ce train vétusté à un professeur d'assyriologie qui donne une heure de cours par semaine au Collège de France ? Quant au dernier opus du livret, c'est indé­niablement un hymne à la recherche de la qualité. Oubliez le gros rouge, les vendeuses de mortadelle, les ménagères blêmes sur les parkings de minables supermarchés. Offrez-vous un verre de bordeaux, un seul, et vous deviendrez un connaisseur, un vrai. Ernest Blouch s'est bien transformé, lui, par ce geste magique, en aristocrate du crime......Il n'y a de mots sans images : jamais redon­dants, les dessins de Kikie Crèvecœur ou­vrent en quelques traits les perspectives des mots. Palais des Nuages, course du peintre Tchang à travers le royaume ou du traîneau impérial emmené par quatre éléphants sur les rizières gelées répondent aux mouve­ments croqués dans le wagon désuet em­prunté par le Hollandais ferroviaire tandis que les verres pleins et les visages vides, im­placables, racontent Ernest Blouch, tueur en série. Paradoxe, au diapason de l'esprit du livre : la gomme qui dans tous les esprits sert à effacer les traits œuvre ici à les gra­ver...
Six cents exemplaires constituent l'édition originale de cette petite merveille. Un vrai bonheur de livre.

Nicole Widart