pdl

Critiques de livres


Benoît COPPÉE
Bruxelles-Midi, Paris-Nord
Paris
Ed. Caractères
2002
84 p.

Le voyageur immobile

II est des lieux qui incitent aux rencontres. Dans la salle d'attente d'une gare, où on croise des voyageurs, on est déjà aussi un peu en partance. Détaché du quotidien et des soucis terre à terre, de la vie dans ses registres médiocres — « As-tu acheté du pain ? As-tu payé la facture d'électricité » ou encore « As-tu fais tes devoirs ? ». En effet, rien de très litté­raire dans tout cela, rien d'exaltant. Mais dans une gare, dans un train, sauf à faire partie du monde bien déprimant des navetteurs, on est déjà ailleurs, ouvert aux rencontres et, pour­quoi pas, au désir de rompre les amarres... C'est visiblement ce qui touche Benoît Coppée dans son nouveau livre Bruxelles-Midi Paris-Nord qui vient d'être publié aux édi­tions Caractères. « Dans les villes, c'est comme ça : les gares me grisent. Les odeurs d'urine, juste avant d'y entrer... C'est comme un signe de reconnaissance. Les clo­chards ont délimité leur territoire et je le re­connais. Je me retrouve. Je me dis alors que l'infini n'est plus loin et je suis rassuré. C'est comme un lieu commun, quel que soit l'en­droit du monde. Les salles des pas perdus sont partout pareilles. Surtout la nuit. Tu en­tends tes pas qui résonnent. Les bruits qui ri­cochent contre la ferraille des distributeurs de boissons. Quelqu'un nettoie. » Le narrateur aime d'autant les gares et les trains qu'il y trouve matière à y exercer sa passion : il est peintre. Il regarde donc ces êtres qui se croisent, ces amants qui se quit­tent ou se retrouvent, ces travailleurs fati­gués, ces vacanciers fourbus ou excités comme autant de matières à rêver. L'univers ferroviaire est pour lui le cinéma de la vie. Et rien n'est plus beau que ces paysages flous que personne n'identifie mais dont il se souvient les avoir croisés dans un train au hasard d'un voyage à cent quarante kilo­mètres à l'heure. Aujourd'hui, le narrateur ne prend pas de train. Il est ébloui, irrésisti­blement attiré par une personne qui, simple­ment assise dans cette salle des pas perdus, lit le journal. « A la façon de t'habiller et de croiser les jambes, j'ai de suite compris ce que tu étais et ce que tu n'étais pas. J'ai tou­jours marché comme ça. A l'instinct. Et il ne se trompe jamais. C'est un septième sens. Il nous faudra du temps pour nous connaître, mais je sais déjà l'essentiel. » Coppée nous relate par le menu la conversa­tion et les ruses qu'il met en œuvre pour capter l'attention de l'autre. « Le ton est im­portant. Il doit être doux et feutré. Sans cela tu n'apprivoises pas. Il faut donner l'impres­sion de parler avec son cœur. Utiliser le temps de la rencontre que l'on sait éphé­mère au mieux des possibilités humaines. Il faut donner l'impression de se donner entiè­rement. » Tentative de voyage au cœur de l'autre : le peintre raconte des histoires, ex­plore les sentiments, nous transporte de « je dis » à « tu dis » : nous ne perdons rien de cette étrange errance.

C'est un livre bizarre, pas vraiment une his­toire. Unité de temps, unité de lieu, person­nages décrits au travers de leurs idées et de ce qu'ils disent de leurs sensations : on pourrait presque être au théâtre, dans un monologue incessant qui raconte aussi ce que dit l'autre. C'est un livre bizarre dont les premières pages semblent issues d'une autre plume. J'avoue avoir eu beaucoup de mal à poursuivre au-delà de phrases telles que : « ...l'émotion nous invite, et ce sans bargui­gner, à rompre les amarres, à hisser la grand voile et d'un geste élégant, d'une main déci­dée, il est possible enfin, de poser sous tous les margotins, la flamme du désir qu'embrasent nos destins ». Ces quelques pages d'une écri­ture « forcée », à l'instar des tomates de serre, n'ont cependant rien de commun avec la suite.

 

Nicole Widart