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Critiques de livres


Isabelle SPAAK
Ça ne se fait pas
Éditions des Équateurs
2004
189 p.

Vivre avec

On sait que ce début de siècle est au déballage des secrets de fa­mille dans les livres écrits au dictaphone (puis promotionnés sur les plateaux de télévision) et que cette ren­trée littéraire voit paraître un grand nombre de romans où des auteurs ra­content leurs parents. Le livre d'Isabelle Spaak appartient à cette catégorie-ci (ainsi que, par exemple, La reine du si­lence de Marie Nimier, fille de Roger, qui développe une problématique assez proche de Ça ne se fait pas, celle d'être la fille d'un père connu, mort dans des circonstances inhabituelles : Roger Ni­mier est décédé dans un accident de voiture avec, à ses côtés, une jeune ro­mancière qui n'était pas sa femme) et échappe, heureusement, à la première. Ainsi que son nom l'indique, Isabelle Spaak appartient à une famille belge de grand renom, qui, comme celle des Nothomb, a donné quelques politiciens et écrivains. Isabelle est la petite fille de Paul-Henri, la nièce de Charles et de Claude, et la fille de Fernand. Fernand Spaak qui a occupé des fonctions dans « le giron de la construction europé­enne ». Qui était bibliophile. Qui a été assassiné par sa femme à coups de fusils. Laquelle, juste après son geste meurtrier s'est donné la mort, un fer à repasser dans la baignoire. Elle aimait son mari d'un amour passionnel, ils étaient sépa­rés, il collectionnait les maîtresses. Cela s'est déroulé au tout début des années quatre-vingt, a très peu été médiatisé. Vingt-deux ans après, Isabelle Spaak se met à la recherche de son passé. Avec un peu d'enquête et surtout avec l'écriture. Parce que vivre avec une histoire pareille en soi, ce n'est pas rien. Cela détermine toute la vie, les relations aux autres, les amours. Le plus terrible peut-être de ce qu'elle a subi : puisqu'elle est une femme, elle a été considérée, par certains, comme la réincarnation de sa mère assas­sine et ceux-là, parfois proches de la fa­mille, ont préféré la tenir à distance. En de très courts chapitres, comme les morceaux d'un puzzle d'une vie en mor­ceaux à tout jamais, avec une écriture libre de tout pathos, qui souvent trouve la formule juste, elle fait le tour des fa­milles paternelle et maternelle, écrit sur les uns, les autres, toujours en rapport avec l'un de ses deux parents. Toujours pour découvrir au plus juste qui ils étaient puisqu'on ne sait jamais grand-chose de ceux qui nous ont mis au monde et nous ont élevés, que ce qu'ils veulent bien nous dire et que ce qu'on veut bien voir. Et quand un pareil drame arrive, on est encore plus aveuglé. Les yeux se ferment. La vie d'avant semble avoir été faussée. Il faut se reconstruire comme on peut. C'est difficile. Peut-être encore davantage quand vous êtes dans une famille historique dont l'histoire ne vous appartient pas totalement et qu'il y a toujours quelqu'un à qui votre nom rappelle quelque chose. Isabelle Spaak ne raconte pas que le passé, elle dit aussi la mère et l'amoureuse qu'elle est devenue. La passionnée de littérature qu'elle est, comme son père. Et là de penser que c'est ce goût des lettres qui l'a peut-être sauvée, en tout cas, qui lui a donné l'exi­gence d'écrire un récit (sur la couverture il est indiqué roman) qui arrive à dépas­ser le fait divers et à toucher la dimen­sion tragique de l'expérience humaine.

Michel Zumkir