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Critiques de livres


Anne FRANÇOIS
Ce que l'image ne dit pas
Albin Michel
1995
173 p.

Le mot de la fin

Ce que l'image ne dit pas, le deuxième roman d'Anne François, possédait tous les ingrédients pour être un mélo, une œuvre d'édification ou pire, un « reality book ». L'écrivaine aurait pu nous apprendre, au travers de l'histoire d'Olivia, la petite autiste à la peau sombre, que l'on doit aimer son prochain, surtout s'il est dif­férent, puisqu'on est tous « le différent » de quelqu'un. Mais comme tous les artistes ha­bités, Anne François possède un univers sur lequel elle donne un éclairage de côté. De face, l'histoire aurait été plus ou moins celle d'une mère (Lucile) qui essaie, par tous les moyens, d'extraire sa fille de l'autisme. De côté (par derrière ?, par en dessous ?), Anne François laisse à penser que si Lucile a vu tant de médecins-guérisseurs c'est plutôt pour refuser l'évidence du handicap de sa fille Et quand bien même je me trompe­rais, j'ai besoin d'espoir pour trouver la force de rester sa mère ») et que celle-ci pourrait être atteinte de ce mal à cause d'elle J'ai poursuivi mon enquête dans la terreur de découvrir un jour que le meur­trier n'était autre que moi-même »). A moins que ce ne soit à cause de la « tristesse des ancêtres » qu'elle trimbale en elle ou du manque d'amour dont elle-même a souffert durant son enfance (et même après) qu'elle aurait vécu trop en confusion avec sa fille. A voir la prudence avec laquelle on avance dans notre critique, on peut comprendre qu'Anne François évite les vérités trop vraies, qu'elle pose avant tout des questions et qu'elle n'est jamais pontifiante. Cette attitude littéraire et philosophique lui est facilitée par la bonne idée romanesque qui est au cœur du livre, une de ces idées qui mettent les person­nages dans une situation de strip-tease et les laissent vivre dans leurs derniers retranche­ments, là où ils sont le plus douloureusement eux-mêmes : une équipe réduite de télévision (un caméraman et un preneur de son) vient faire un reportage sur Lucile et Olivia et s'ins­talle chez elles le temps du tournage. Le roman semble autant le récit (écrit à deux voix, celle d'Olivia et du celle du caméraman) de cette relation entre les quatre personnages que celui des petits bouleversements qui s'opèrent à l'intérieur de Lucile en vivant en permanence la « télévisualisation » de son his­toire jusqu'à la métamorphose finale : Olivia retrouve sa féminité totale Moi qui ne fai­sais qu'un avec mon rôle de mère, je sens mon être se dédoubler : la femme soucieuse de retenir le regard émerge à nouveau »). Et c'est que le livre d'Anne François se révèle passionnant, quand du cas particulier elle ar­rive à toucher aux problèmes cruciaux, fondamentaux de l'existence de chacun. En poin­tant en un mot (final) tout ce que l'image ne dit pas. Ce mot qui règle toute vie et que nous tairons. Que vous pourrez lire en conclusion de ce livre essentiel.

Michel Zumkir