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Critiques de livres


Pie TSHIBANDA W.B.
Ces enfants qui n'ont envie de rien
Bernard Gilson éditeur
coll. Micro-Roman
2003
128 p.

Envie de tout, envie de rien

Depuis quelques mois, Pie Tshibanda parcourt la Belgique en nous ra­contant l'histoire d'un fou noir au pays des Blancs1.  Un fou qui regarde, étonné, notre pays avec la distance que pourrait avoir un Persan raconté par Montesquieu. Dans ce pays, il y a beaucoup de petits à qui Ton ne dit jamais « non », qui veulent tout et n'ont jamais envie de ce qu'on leur propose...

Aujourd'hui, voici donc un nouveau livre, le sujet est différent mais c'est toujours le même regard : Ces enfants qui n'ont envie de rien met en œuvre la même approche tac­tique. Dans un « micro-roman », Pie Tshibanda raconte une histoire inspirée par sa vie même. Son héros, Masikini, a à présent retrouvé sa famille et tout ce petit monde s'est taillé une place dans un village du Brabant wallon. Masikini a trouvé un boulot à sa mesure. Il anime une étrange école de de­voirs itinérante installée dans un minibus transformé en classe. Le Court Pouce par­court les villages de l'entité de Court-Saint-Etienne et procure chaque semaine à chaque enfant qui en a besoin l'occasion d'être aidé pour faire ses devoirs. Etrange expérience où l'art du conte s'associe au dialogue et à l'écoute attentive pour débus­quer les blocages, les angoisses, les difficul­tés de chacun des élèves. L'un des éléments de notre société qui a le plus touché le sage africain, c'est de consta­ter combien nos enfants sont déboussolés. Dans cette société où l'enfant est roi, c'est lui qui paie souvent le prix fort de nos erre­ments. Compétition, soif de liberté, con­sommation à tout crin : nous offrons à nos enfants les restes d'un rêve occidental pour le moins affolant. Couverts de cadeaux, adulés, mais aussi parfois tiraillés entre des parents qui se déchirent, beaucoup d'en­fants ne connaissent plus de limites et per­dent leurs points de repères. Ils n'ont plus envie de rien et se croient tout permis. Aux yeux de Pie Tshibanda, éclairé par les prin­cipes de sa culture africaine et par ses connaissances de psychologue, nos enfants ont besoin de retrouver d'urgence des règles de vie claires et des rituels qui stabilisent l'organisation de la société. Aussi, le maître de l'école des devoirs s'em­ploie-t-il à faire retrouver aux enfants qu'il accueille un certain nombre de points de re­père. Entre les activités ludiques et récréa­tives qui permettent d'observer les enfants, les goûters qui leur donnent une même source d'énergie et les particularités de cha­cun dans son approche des matières, l'instituteur « mobile » veille à remettre les en­fants à leur place, dans le sens démocratique du concept. Grâce au conte africain, grâce à des projets qui les confrontent aux vieillards d'un home ou à des enfants de la banlieue bruxelloise, les enfants du Court Pouce se réapproprient, en plus des connaissances, un certain sens des valeurs. Comme dans son premier « micro-roman », on retrouve ici ce qui fait la force de Pie Tshibanda, son don de conteur, l'acuité du regard et l'humour, mais on éprouve tout autant, par moments, un peu d'agacement devant le côté péremptoire de certaines ana­lyses...

Nicole Widart

1. Voir l'entretien avec Pie Tshibanda, in Le Carnet et les Instants n° 125.