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Critiques de livres


Marie-Pascale DEFOSSÉ
Chacun son tour
éd. Irezumi (rue de T'Serclaes 7, 4821 Andrimont)

L'esprit du tatouage

Une nouvelle maison d'éditions fait son entrée sur la scène littéraire en publiant deux romans qui sont aussi, pour leurs auteurs, une première expé­rience. Gageure ou début d'une aventure ? Un peu des deux sans doute. Irezumi, puisque tel est son nom, fut d'abord, il faut le rappeler, le titre d'un film japonais de Takabayashi, présenté en français comme La femme tatouée. Ceux qui se souviennent du film comprendront que la référence ne peut cacher un certain sens de l'anticonformisme mais il faut préciser que la traduction exacte d'Irezumi donne « l'esprit du tatouage » ce qui révèle une intéressante manière de considérer la conception des livres. Marie-Pascale Defossé a dix-sept ans et elle écrit, paraît-il, son troisième roman au moment où le premier sort de presse. Jeune au­teur prodige ? Il ne faut pas aller trop vite pour crier au génie mais il ne faut pas non plus que sa précocité fasse oublier de lire son livre. Chacun son tour raconte la vie de Pascale, quinze ans, une vie qui se passe pour l'essen­tiel dans un hôpital : Pascale a un cancer et elle se sait condamnée. Le « je » de la narra­trice est donc celui d'une adolescente malade qui sent qu'elle a encore tout à découvrir de la vie mais dont l'univers est limité à quelques salles dans l'aile des enfants malades. Elle oscille entre souffrance, détresse et ré­volte et le roman se déroule dans un temps syncopé qui ne s'attarde qu'à ce qu'en retient Pascale.


Stéphane COLLIN et Claude NAUWELAERTS
La loi d'analogie (Le noir)
éd. Irezumi (rue de T'Serclaes 7, 4821 Andrimont)
144 p.

En off, la voix du Dr Tiel apporte un regard extérieur. On cherche à soigner, à gué­rir mais la mort se glisse, obsédante et sour­noise : quand interviendra-t-elle ? Pascale est tiraillée entre guérir et vivre ou être libre et mourir. Dans un moment de rémission, Pascale fuguera pour essayer, au risque de s'y consumer, cette liberté qu'elle imagine. Je laisserai au crédit de la fiction une ma­nière de parler de la médecine pas toujours très réaliste. Par contre, Marie-Pascale Defossé manque parfois de maturité lorsqu'il s'agit de se mettre dans la peau des adultes et pèche par quelques formulations can­dides. Il faut pointer aussi quelques tour­nures de « français régional » qui auraient pu être corrigées sans mal. En revanche, voilà un roman quasi sans ac­tion, qui se déroule presque entièrement à l'hôpital (dont il dénonce, au passage, l'in­humanité) et qui ne lasse pas le lecteur. A remarquer aussi l'intéressant renversement de valeurs qu'est le jugement de cette ado­lescente sur les parents d'aujourd'hui. Mais ce qui étonne le plus tient à la justesse du portrait de cette adolescente, campée de ma­nière très réussie. Celle-ci souffre particuliè­rement mais elle n'en témoigne ainsi que de manière plus aiguë de la difficulté à trouver sa place dans le monde, à prendre la parole sans crâner ni abdiquer. Il n'a sûrement manqué à Marie-Pascale Defossé qu'un peu d'application pour peaufiner un livre dont j'imagine néanmoins qu'il trouverait bien sa place dans les écoles.

Stéphane Collin et Claude Nauwelaerts, quant à eux, piègent d'emblée, par une dis­pute complice et drôle, un lecteur qui ne saura plus s'il plonge dans la pure fiction ou dans le récit de faits réels. L'histoire raconte la découverte, par nos deux narrateurs, du manuscrit d'une Messe à cinq voix composée par Zingarelli en 1794. Chose intrigante, le pendule de Claude ne vibre que sur les pages de l'Amen. Pourtant, à première vue, Sté­phane, qui est musicien, n'y lit rien d'extra­ordinaire. D'ailleurs, qui était ce Zingarelli ? La recherche commence qui nous emmène retrouver Zingarelli dans l'Italie de la fin du XVIIIe siècle, découvrir la Vierge noire de Loreto, croiser Rossini, rencontrer Napoléon et passer par les coulisses de la Scala. D'autre part, retour au présent, la radiesthésie, la numérologie et surtout l'analogie sont convo­quées pour lever peu à peu le voile sur les aspects secrets de cette partition. Très savamment construite, l'intrigue tient en haleine d'autant plus facilement que les auteurs font assaut d'esprit et assaisonnent leur texte de digressions cocasses. Il y a no­tamment une description de Roméo et Ju­liette hilarante : Shakespeare revu par Tex Avery ! Zingarelli a-t-il vraiment existé ? Je n'ai pas cherché à le savoir, je préfère rester sous le charme du roman qui, pour achever de jeter le trouble, est accompagné d'un CD... L'enregistrement de l'Amen revu par Stéphane Collin.

Jack Keguenne