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Critiques de livres


Raymond TROUSSON
Charles Van Lerberghe. Le poète au crayon d'or.
Biographie
AML
Éd. Labor
2001
445 p.

Van Lerberghe : enfin la réhabilitation !

Jusqu'à ce jour, l'un des acteurs majeurs du symbolisme en Belgique, l'auteur de La Chanson d'Eve, est resté en retrait par rapport à un Maeterlinck, un Verhaeren ou un Rodenbach qui ont très tôt bénéficié d'une notoriété internationale et suscité un grand nombre d'études et d'essais biogra­phiques. Raymond Trousson répare enfin cette injustice dans la biographie remar­quable qu'il donne du « poète au crayon d'or ». Albert Mockel et Fernand Severin avaient bien tenté de servir la mémoire de leur ami, le premier dans un bref essai paru, du vivant de Van Lerberghe, dans le Mer­cure de France, le second dans son « Es­quisse d'une biographie », dont il fit la lec­ture à l'Académie royale de langue et de littérature françaises, le 14 décembre 1921. Au vrai, Severin n'allait guère considérer que le poète, délaissant un peu l'homme, non par indifférence, mais par scrupule : il ne fallait rien dévoiler de confidentiel ou choquant par égard envers la famille et les amis. « II en résultait un portrait qui, s'il n'était pas faux, ne peignait le poète que de profil et le laissait dans les brumes de l'idéal », comme l'indique Trousson en in­troduction. Voici, par contre, un portrait de face, complet, sans fard et très attachant car il dévoile un personnage bien plus com­plexe qu'il n'y paraissait. L'auteur pratique Van Lerberghe depuis longtemps : son œu­vre évidemment, mais aussi son journal1, sa correspondance et notamment les lettres à Severin, elles aussi censurées dans une première édition en 1924, dont il vient de publier la version intégrale 2. Toutes ces sources allègrement mises en réseau, l'entre­prise biographique aboutie, l'homme et le poète sont enfin réunis, celui qui conduit son œuvre bien mieux que son existence où il est difficile de distinguer entre ratage et retenue, entre malchance et prudence. Rien d'étonnant si Van Lerberghe, cet éternel as­pirant, si exigeant envers son travail et en­vers soi-même, demande l'impossible à la vie. Trousson révèle au moins la constance de son esprit critique, de son désir de per­fection, de sa lucidité tant envers ses pro­ductions qu'envers celles d'autrui. Il éclaire maints épisodes de cette vie souvent manquée qui se termine prématurément et de façon dramatique et qu'ont éclairée pour­tant des actions inattendues comme la vibrante lettre de soutien à Zola lors de l'Af­faire Dreyfus.

Jeannine Paque

1.    Cf. l'article « Les opinions littéraires de Van
Lerberghe », Charles Van Lerberghe et le Symbo­lisme, H. Siepman et R. Trousson édit., Co­logne, dme Verlag, 1988, pp. 128-163.

2.   Charles Van Lerberghe, Lettres à Fernand Se­verin, Textes établis, présentés et annotés par R. Trousson, Académie royale de langue et de littérature française, 2002.