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Critiques de livres


Michèle FABIEN
Charlotte, Sara Z., Notre Sade
Bruxelles
Labor
coll. Espace Nord
2000
184 p.

L'histoire, le corps et le sujet

Michèle Fabien est morte à l'au­tomne de l'année dernière. D'une hémorragie cérébrale que certains, dont Jean Louvet, n'hésitent pas à attribuer à l'expulsion de l'Ensemble Théâtral Mobile du Marni. Jusque dans sa propre existence, le théâtre aura donc été une question de vie et de mort. Michèle Fabien est morte, mais son théâtre est vivant, bien vivant. On a pu assister au Théâtre national, en cette rentrée, à la mise en scène de Charlotte par Marc Liebens, une mise en scène qui laissait tout l'es­pace pour laisser la parole advenir. Comme l'aimait Michèle Fabien. Le texte de cette pièce, qui circulait déjà dans les milieux avertis, est enfin disponible aux éditions Labor, dans la collection Espace Nord qui en propose l'ultime version, terminée en dé­cembre 1998. On savait Michèle Fabien par­ticulièrement sensible à l'histoire et à la poli­tique de notre pays, cette pièce le confirme. Car Charlotte, c'est Charlotte l'Impératrice, fille de Léopold Premier, épouse de Maximilien, fils cadet de l'Empereur d'Autriche qui gouverna la Lombardie, qui deviendra empe­reur du Mexique, qui mourra fusillé. Ti­raillée entre l'amour, la volonté d'influencer les décisions politiques de son mari et des grands du monde, d'attirer leur attention sur les plus démunis et les refoulés du pouvoir, elle payera de sa santé mentale. La Charlotte de Michèle Fabien est double. La première peut être considérée — en tout cas au début de la pièce — comme la Charlotte de l'His­toire. La deuxième comme son double, sa conscience intranquille, comme une actrice mais aussi comme tous les personnages qui sont intervenus dans sa vie (dont Maximilien). Elle empêche l'impératrice de se laisser bercer par le mythe qu'elle est devenue. Elle l'entraîne au-delà de la folie, jusqu'à la paix intérieure retrouvée.

Le même volume propose deux autres textes, plus anciens ceux-là, qui puisent aussi au dix-neuvième siècle puisque que l'un, Notre Sade (1978) évoque la figure du célèbre Marquis lors de son emprisonnement et l'autre, Sara Z. (créé en lecture-spectacle en octobre 1982) revisite, sous influence duras-sienne, Sarrasine, la nouvelle de Balzac ana­lysée par Barthes dans son fameux S/Z. Ces deux pièces, tout comme Charlotte, sont particulièrement représentatives de l'œuvre de Michèle Fabien, car comme le dit Marc Quaghebeur dans la lecture qui clôt le vo­lume «... [dans ces pièces] elle met sur la table des cartes qu'elle ne cessera de battre et de jouer. Celles-ci vont au cœur des énigmes du langage et de la représentation par rap­port à l'histoire, au corps et au sujet. » C'est cette ligne éthique et esthétique qui rendra pour toujours l'écriture de Michèle Fabien si indispensable au théâtre, à ses acteurs et à ses spectateurs.

Michel Zumkir