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Critiques de livres

Daniel Charneux
Norma, roman
Avin
Éd. Luce Wilquin
2006
100 pages

La fin du film
par Laurence Vanpaeschen
Le Carnet et les Instants n° 143

Daniel Charneux réinvente la vie de Norma Jean Baker. Retranchée dans l' immensité du Mojave, la désormais vieille dame raconte ses deux histoires, celles de Norma et de Marilyn, depuis une cabine téléphonique du désert mythique, que l'auteur aurait appelée en vain de l'autre bout du monde, jusqu'à ce qu'un 5 août 2000 et quelque, une voix, improbable, lui confie une mission. «Tu leur raconteras, toi qui as l'âge d'être mon fils. Je vais partir bientôt, il est temps qu'ils le sachent. Tu leur diras qu'elle n'est pas morte le 5 août 62, Norma Jean. Ce jour-là, elle a tué Marilyn. Elle a tué le mythe, empoisonné celle qui lui avait empoisonné la vie.» Le faux suicide d'une petite pute platine qui avait trop voulu lui ressembler, orchestré par les hommes du président. Elle avait remporté le marché : elle rendait à Bobby le carnet rouge où elle notait les secrets d'État révélés sur l'oreiller, il lui rendait Norma en l'amputant de l'autre, sa pierre de folie. Seule chance de survie, de réconciliation avec elle-même, effacée et apaisée dans la fournaise du désert. «J'en ai bavé, tu sais, du temps que j'étais belle.»

Le récit oscille donc sans cesse entre la fable d' une gloire de pacotille, d'une pauvre poupée Barbie, tas de chair toujours offerte, «simili cuir, simili plaisir, simili vie», et la vérité d'une petite vieille enfin anonyme qui cherche à retrouver son âme enfouie derrière le strass, qui happe désormais chacune des secondes qui lui sont comptées, qui s'entraîne à se vider de sa vie, à s'attendre dans le cercueil doublé de couleur tilleul qu'elle s'est déjà choisi. Quarante ans plus tard, elle a «vaincu la blonde» et elle termine «son plus beau film».

On revoit Marilyn adulée et désaxée, des taupes grises qui lui rongent sa tête de petite fille née dans ce coin du pays où les femmes «se répartissent entre faiseuses de tartes aux pommes et femmes fatales», trop belle pour ne pas tirer le second numéro, le mauvais. Désaxée comme le film éponyme écrit par un des maris, l'intellectuel à lunettes, qui savait tout du monde et rien d'elle, qui se servait d' elle aussi, trouvait dans la bombe border line «des idées pour ses pièces, des personnages pour ses scénarios». Réminiscence cinématographique qui revient sans cesse sous les traits du cow-boy à moustaches des Misfits, celui qui aurait pu être son père. Le père inconnu, pour qui elle aurait donné tous les films, toutes les photos sur lesquelles elle s'usait les yeux «pour oublier que je n'ai pas la tienne», qu'elle n'arrêtera jamais d'appeler, dans une incantation quasi biblique. «Papa, papa, pourquoi m'as-tu abandonnée?» Lancinante, comme cet autre leitmotiv, l'opéra de Bellini qui raconte «l'histoire déjà écrite d'un destin et d'une passion. Ce sera l'aventure sans surprise d'une femme comme moi». Norma, chantée par La Grecque qui elle aussi, a connu la gloire des fastes et du clinquant.

Un récit construit sur l'oscillation, l'incantation et le lancinant, jusqu'au risque de la lassitude.