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Critiques de livres


Dominique WATRIN
Chôme toujours, tu m'intéresses !
Lansman
1997
192 p.

Noël sans boulot Pâques au bistrot

Dominique Watrin a du culot ! Ainsi, a-t-il le front de se présenter lui-même de la sorte : « Journaliste et sociologue, l'auteur n'a publié que des conneries jusqu'à présent. Et ça continue... » Voici, pour l'heure Chôme toujours, tu m'in­téresses ! ou Le chômage expliqué aux notables et aux chômeurs d'exception, un petit bou­quin bourré d'un humour mâtiné de noir­ceur, le deux cent unième ouvrage publié par les éditions Lansman, sises à Carnières, qui, depuis huit ans, s'étaient plutôt spécia­lisées dans le domaine du théâtre et le monde des arts de la scène. Cet affolant (im)précis, qui nous invite à jeter un regard voilé de larmes (de crocodile) sur les vic­times du drame du sous-emploi, est conçu sur le monde de l'abécédaire, à la façon dont le fut en son temps le Dictionnaire du Diable du grand Ambrose Bierce, qui définissait de la sorte le travail : « processus grâce auquel A acquiert des biens pour B ». Grâce à sa formule demeurée célèbre (« L'humour est la politesse du désespoir »), Chris Marker nous avait superbement fait comprendre que l'hu­moriste devait se garder d'être simplement un ironiste s'appliquant à critiquer son voi­sin, et moins encore un bon gros vivant mis en verve par les grandissimes soucis et autres minimes tracas de la vie de tous les jours. Découlant de la désespérance, l'humour n'est souvent qu'une façon, au demeurant courtoise (quoique parfois glaciale, comme peut l'être le fluide cher aux potaches), de dire non. Aussi, le véritable humoriste ne re­vendique-t-il rien, et surtout pas l'apport d'une « solution », conscient du fait qu'il ne saurait y avoir de solution « véritable », puisqu'il n'y a pas d'issue. En ce sens, Do­minique Watrin réussit son coup, souriant aigre-doucement de notre société qui tourne (mal), comme éperdument après sa queue : « La solution-miracle contre le chômage ? Elle existe bien sûr. Mais il faut attendre. Attendre de la trouver, attendre de la négocier, attendre de la voter, attendre de l'appliquer et puis, éventuellement, de l'expliquer. Bref, elle n'existe pas. »

De A comme Avertissement à Z comme Zob (— Bonzour, monsieur, ze viens pour un zob !D'accord, retournez-vous !), on ba­guenaude allègrement dans les sombres dé­dales de l'envers du travail, le monde sans issue des « sans emploi », qu'il serait d'ailleurs plus séant de rebaptiser les « non tra­vaillant » (« on dit bien des étrangers qu'ils sont des non résidents et des paquebots qu'ils sont des non chalands »). Ceux-ci, qu'il est scientifiquement nécessaire de répartir en quatre « catégories-types » (épicuriens fri­meurs, complexés cyclothymiques, revendi­catifs expressifs et resquilleurs ludiques), se devraient d'ailleurs, comme les autres corpo­rations professionnelles, de se choisir utile­ment un « saint-patron » : parmi les préten­dants, on citera Saint-Alexandre (le Bienheureux), Saint-Antoine (de Padoue), Dieu le Père (le chômeur le plus controversé de l'Histoire, « perpétuellement à ne rien faire pour contrer tous les malheurs qui s'abattent sur l'humanité »), Jésus-Christ (« qui vécut d'expédients et mourut crucifié pour avoir réa­lisé des miracles au noir »), Saint-Karl Marx ou encore Saint-Morphée. N'est pas éludée (comment le pourrait-on ?) l'histoire d'amour entre l'immigration et le chômage : « Grâce à leur venue dans nos contrées, les im­migrés ont pu réaliser d'énormes découvertes : le froid, l'exploitation, les repas en conserve, l'accordéon, l'horaire variable pour un salaire invariable, les métiers artisanaux (mineur, éboueur, terrassier...), les injures colorées, etc. Qu'ont-ils apporté en échange ? Pas grand chose, à part de la sueur nauséabonde et des larmes inutiles. » Pensez donc : tous les em­plois qu'on aurait pu donner à nos chômeurs sont pris par eux, mais ne voilà-t-il pas qu'ils se mettent à oser revendiquer, argumentant de leurs conditions de vie et de travail déplo­rables ! Quelle ingratitude ! Des « humoristes hors pairs tels que, seules, nos démocraties occi­dentales peuvent en générer » ont d'ailleurs trouvé la parade, le gag qui tue : « mieux que le poil à gratter et la poudre à éternuer réunis : le Front National ».

André Stas