Dans l'intérêt de l'enfant
Dès l'irruption du sida parmi nos problèmes de santé et de société, François Delors, psychanalyste et sociologue, milita pour un accompagnement des personnes à risque et plus particulièrement des homosexuels. Il s'agissait avant tout, selon lui, de les comprendre. La carrière de Delors fut têtue mais tragique. De graves accidents de moto mirent son moral en péril et conduisirent à sa mort prématurée. Peu de temps avant celle-ci, il s'était consacré à l'organisation d'un colloque intitulé Citoyenneté, discrimination et préférence sexuelle, qui s'est tenu, sans lui, en 2002. Sa publication en sera assurée par Vladimir Martens, héritier spirituel de Delors, mais avec un retard, lié à ces conditions dramatiques. Le colloque traita surtout du mariage entre personnes de même sexe et de l'adoption d'un enfant par un gay ou une lesbienne. Le premier sujet a connu des rebondissements depuis 2002, mais le souci de protéger l'intérêt des enfants adoptés reste majeur. Les personnes gayes ou lesbiennes cherchent à adopter un enfant dans trois situations différentes : l'adoption individuelle par un ou une célibataire, sans implication d'un droit parental pour l'éventuel partenaire stable ; l'adoption co-parentale si l'un des deux demandeurs possède déjà un enfant génétique, et si l'autre partenaire de même sexe désire adopter cet enfant ; l'adoption conjointe par les deux partenaires d'un enfant sans lien de parenté. L'attitude légale des divers pays a été très variable et reste en évolution, l'adoption individuelle étant la plus aisément reconnue.
Contrairement à ce que certains demandeurs invoquent, l'adoption ne figure pas parmi les Droits de l'Homme. C'est une procédure légale mise en place au bénéfice de l'enfant. Pourtant, les motivations généreuses, persistantes, bien documentées, des candidats à la parenté doivent intervenir dans la décision juridique.
Les participants du colloque s'attachèrent à détruire certains préjugés, par l'exposé d'une série d'enquêtes. Selon celles-ci, les parents gays ou lesbiens ne vont pas induire l'enfant à les imiter ; cet enfant ne présente pas un profil psychologique particulier du fait qu'il connut un seul modèle parental, masculin ou féminin. Certains contestent pourtant ces observations, et demandent que le bénéfice de telles adoptions soit centré sur les enfants défavorisés, si nombreux dans le monde. Dans bien des cas, au lieu de recueillir un enfant déjà né, les demandeurs revendiquent le droit de participer à la création de l'enfant. Ici, deux situations ont des connotations morales très asymétriques. Il est peu acceptable qu'un gay s'assure un enfant par relation sexuelle ou insémination artificielle impliquant un contrat avec une femme qui perdrait tout droit sur l'enfant qu'elle a porté. Par contre, la pratique symétrique est moralement admise ; dans un couple de lesbiennes, l'une peut enfanter par insémination artificielle sans que le donneur volontaire de sperme en subisse dommage. Il est d'ailleurs tenu au courant du projet et donne son consentement, l'anonymat étant par ailleurs conservé comme dans toute situation d'insémination artificielle. Dans ce cas, le désir d'enfant de la lesbienne s'exprime dans les termes qu'emploierait l'épouse d'un homme stérile : même projet commun de concrétiser un amour.
Lise Thiry