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Critiques de livres


Sous la direction de Vladimir MARTENS
Citoyenneté, discrimination et préférence sexuelle
Bruxelles
Publications des Facultés universitaires Saint-Louis
2004
150 p.

Dans l'intérêt de l'enfant

Dès l'irruption du sida parmi nos problèmes de santé et de société, François Delors, psychanalyste et sociologue, milita pour un accompa­gnement des personnes à risque et plus particulièrement des homosexuels. Il s'agissait avant tout, selon lui, de les comprendre. La carrière de Delors fut têtue mais tragique. De graves accidents de moto mirent son moral en péril et conduisirent à sa mort prématurée. Peu de temps avant celle-ci, il s'était consa­cré à l'organisation d'un colloque inti­tulé Citoyenneté, discrimination et préfé­rence sexuelle, qui s'est tenu, sans lui, en 2002. Sa publication en sera assurée par Vladimir Martens, héritier spirituel de Delors, mais avec un retard, lié à ces conditions dramatiques. Le colloque traita surtout du mariage entre personnes de même sexe et de l'adoption d'un en­fant par un gay ou une les­bienne. Le premier sujet a connu des rebondissements depuis 2002, mais le souci de protéger l'intérêt des enfants adoptés reste majeur. Les personnes gayes ou les­biennes cherchent à adopter un enfant dans trois situa­tions différentes : l'adoption individuelle par un ou une célibataire, sans implication d'un droit parental pour l'éventuel partenaire stable ; l'adoption co-parentale si l'un des deux demandeurs possède déjà un enfant gé­nétique, et si l'autre parte­naire de même sexe désire adopter cet enfant ; l'adoption conjointe par les deux partenaires d'un enfant sans lien de parenté. L'at­titude légale des divers pays a été très variable et reste en évolution, l'adop­tion individuelle étant la plus aisément reconnue.

Contrairement à ce que certains deman­deurs invoquent, l'adoption ne figure pas parmi les Droits de l'Homme. C'est une procédure légale mise en place au bénéfice de l'enfant. Pourtant, les moti­vations généreuses, persistantes, bien documentées, des candidats à la parenté doivent intervenir dans la décision juri­dique.

Les participants du colloque s'attachè­rent à détruire certains préjugés, par l'exposé d'une série d'enquêtes. Selon celles-ci, les parents gays ou lesbiens ne vont pas induire l'enfant à les imiter ; cet enfant ne présente pas un profil psychologique particulier du fait qu'il connut un seul modèle parental, mascu­lin ou féminin. Certains contestent pourtant ces observations, et deman­dent que le bénéfice de telles adoptions soit centré sur les enfants défavorisés, si nombreux dans le monde. Dans bien des cas, au lieu de recueillir un enfant déjà né, les demandeurs re­vendiquent le droit de participer à la création de l'enfant. Ici, deux situations ont des connotations morales très asy­métriques. Il est peu acceptable qu'un gay s'assure un enfant par relation sexuelle ou insémination artificielle im­pliquant un contrat avec une femme qui perdrait tout droit sur l'enfant qu'elle a porté. Par contre, la pratique symétrique est moralement admise ; dans un couple de lesbiennes, l'une peut enfanter par in­sémination artificielle sans que le don­neur volontaire de sperme en subisse dommage. Il est d'ailleurs tenu au courant du projet et donne son consentement, l'anonymat étant par ailleurs conservé comme dans toute situation d'insémination artificielle. Dans ce cas, le désir d'enfant de la lesbienne s'exprime dans les termes qu'emploie­rait l'épouse d'un homme stérile : même projet commun de concrétiser un amour.

Lise Thiry