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Critiques de livres


Tristan SAUTIER
Claire Venise
illustrations de Nadine Sizaire
éd. L'Arbre à Paroles
2000
30 p.

L'amante, l'agonie

Venise est de ces villes qui semblent attirer à elles tout ce que le monde compte de poètes ou d'artistes qui y trouvent tantôt le repos, tantôt un regain d'inspiration. Il règne sans doute un génie du lieu qui continue à inspirer ceux qui y séjournent et qui, malgré toute la littérature déjà produite, osent encore y aller de leurs vers ou de leurs proses. Tristan Sautier s'est pris à ce jeu, mais comme on se prend à un piège, et l'image qu'il donne de Venise oscille entre déca­dence et morbidesse. Il évoque l'inévitable cliché des masques, mais aussi la mort, la destruction, une lèpre, une charognerie. Toutefois, il faut tout de suite préciser que Sautier, même à Venise, parle plus souvent de son monde intérieur qu'il ne peint le paysage qui l'entoure. Mais, est-ce la faute des canaux ?, il semble qu'il reste souvent confiné dans sa chambre et, non pas en tête-à-tête, mais aux prises avec son amante. Il y a beaucoup de sexe dans ce recueil et un sexe qui n'apparaît pas très joyeux. Si « Venise est une vieille putain », l'amante ne possède pas les traits d'une femme, elle n'est dite que par son sexe très (trop !) crûment exposé. Une béance qui fascine l'auteur et dans laquelle il trouve sa mort ou sa nuit. Elle a beau s'appeler Claire, elle inspire plus d'anéantissement que d'éblouissements, plus de perdition que d'illuminations. Le recueil laisse un goût amer. Faut-il vrai­ment aller jusqu'à Venise pour rencontrer cette amertume ?


Tristan SAUTIER
L'avant-critique suivi de Sur Salah Stétié
éd. L'Arbre à Paroles
164 p.

On a l'impression d'avoir déjà lu de (trop) nombreux poètes n'utilisant leurs vers que pour exprimer leur dégoût existentiel ; ce n'est pas sans intérêt si l'expé­rience est partageable ou profitable pour le lecteur mais ce livre-ci n'ajoute rien de décisif et n'apporte rien de fondamental, il relève plutôt de l'exhibitionnisme. Et les illustra­tions, scolaires et sans charme, n'apportent aucune élégance à un livre qui, par son grand format, se voulait sans doute précieux. Dans les Lettres brûlées à l'amoureuse, on re­trouve les mêmes images récurrentes (l'amante, le sexe, le masque, la nuit, la lèpre...) mais le volume est plus important et le projet plus ambitieux. Certains poèmes mettent le lecteur mal à l'aise qui l'amènent au cœur de l'intimité (pornographiquement exprimée) d'un couple ou lui donnent à comprendre certains échanges privés. J'ai l'impression, à ces moments, d'avoir affaire à des choses qui ne me regardent pas et que l'auteur m'oblige à un voyeurisme malsain qui me dérange. Mais Sautier arrive aussi à donner du sens (et pas que du sexe) à l'amour, à l'échange. Et, dans l'ensemble, on s'aperçoit qu'il est aussi capable d'humilité face aux questions existentielles, à même d'aborder des interrogations plus vibrantes, plus essentielles et de donner à la poésie toute sa raison d'être en poursuivant la re­cherche d'un temps qui serait le sien, en tis­sant le fil de sa vie. Certes, j'avoue que ce qui me gène dans ces textes tient plutôt dans la philosophie qui les fonde que dans leur expression.


Tristan SAUTIER
Lettres brûlées à l'amoureuse
éditions Vallongues
2000
94 p.

Sautier, manifestement, ne recherche pas la sérénité ou la plénitude ; il se positionne à hauteur des mots et présente sa vie comme une fic­tion. Ainsi, « il n'y avait et toujours il n'y a / que des mots » et il s'agit de « ravauder ses plaies son devenir son dépérir » alors que « le corps [...] / s'enlise dans la / litanie la voix ». Et « rien / ne finira / rien / à la table d'agonie d'écriture / ne finira / rien / de la nuit ». Il ne sort jamais ce qui est formalisé par le verbe et s'enferme dans un système où il « tisse [son] être dans la consomption ». A cet égard, le volume de critiques qu'il pu­blie permet de mieux comprendre son ap­proche. En effet, parlant des autres poètes, il théorise ce qu'on devine dans ses créa­tions. A lire, par exemple, « La poésie, tou­jours, dit une blessure, et dire est acquiescer » ou « L'errance mène à une vé­rité de l'errance. Rien d'autre », il est évi­dent qu'il reste lucide sur son univers (son système ?) et ses limites. Et si la fin ultime n'est, bien sûr, pas un but à atteindre mais une recherche à perpétuer, il n'en reste pas moins que Sautier ne trouvera de bons lec­teurs que parmi ceux qui accepteront ses idées a priori. L'avant-critique est un recueil de critiques diverses mais aussi d'entretiens avec Jacques Crickillon (qui parle de la genèse et du dé­veloppement de son œuvre), Eric Clemens (sur la phénoménologie de la fiction) et André Schmitz (« Tout poème [est] un moyen d'avancer dans le vivant »). Le livre se termine par une série, ici rassemblée, d'articles sur Salah Stétié qui, par son am­pleur donne bien la mesure des qualités de critique de Tristan Sautier. Peut-être de­vrait-il néanmoins avancer un peu dans le vivant et s'extraire un peu du jargon.

Jack Keguenne