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Critiques de livres

Michel Claise
Faux et usage de faux (versets satiriques)
Avin
Éditions Luce Wilquin
2008
158 p.

Des nouvelles de l'enfer
par René Begon
Le Carnet et les Instants n° 152

Du Faust, de Goethe, au Portrait de Dorian Gray, d'Oscar Wilde, les héros littéraires ont souvent pactisé avec le diable. Dans Faux et usage de faux, le second ouvrage de Michel Glaise, le contrat passé avec le Malin est littéraire et même, pourrait-on dire, éditorial : d'un côté, le narrateur est écrivain; de l'autre, c'est pour répondre à une injonction de son éditeur que cet auteur «d'histoires salaces et policières, sans grande intelligence» devient pour six soirées le confident d'un personnage d'apparence quelconque, mais qui se révélera bientôt être «celui qu'on ne nomme pas, mais qu'on invoque sous les pseudonymes les plus divers : Satan, Belzébuth, Baphomet». Versets satiriques» : c'est le sous-titre que l'auteur donne à ce qu'il nous invite à lire comme un «roman». Une sorte de pirouette inaugurale, car les six chapitres de son livre constituent autant d'historiettes différentes, dont le seul point commun est qu'elles sont racontées au narrateur par le même personnage maléfique. Dès lors, ne devrait-on pas plus justement parler de «contes» que de «roman» pour les caractériser?

Michel Glaise nous décline ces six contes dans le cadre d'un «contrat narratif» qui rappelle évidemment les Contes des mille et une nuits, le vertige sensuel en moins, l'odeur de soufre en plus. Il nous entraîne à travers de courtes histoires assez convenues, qu'il narre dans un style un peu «vieille France», esquissant des atmosphères à ce point codées dans leur désuétude qu'on a du mal à ne pas les trouver parodiques. Ici, c'est une inconsolable baronne germanique qui, un soir de Noël enneigé, cherche à oublier son veuvage dans les bras d'un automate qui l'emportera dans la mort au son d'une valse. Là, c'est un médecin dont l'hôpital psychiatrique est pris d'assaut par une bourgeoise indignée et un prêtre exorciste volant au secours du fils de famille possédé du démon. Le même médecin, affligé d'un complexe de Jocaste au masculin, trucide un peu plus tard l'une de ses patientes qui ressemble par trop à sa fille. Nous voilà ensuite plongés dans le moyen âge des cathédrales, à travers le destin tragique d'un compagnon-bâtisseur de grand talent qui, pressenti pour remplacer le maître qui lui a conféré sa formation, finit par devoir affronter son compagnon de métier qui est aussi, du moins l'a-t-il cru jusqu'au bout, son ami.

Après le conte de Noël, l'épisode pseudo-freudien et le récit médiéval, Glaise termine en beauté avec une parodie de procès au cours de laquelle une aguichante jurée roule tout son monde dans la farine, à commencer par l'avocat de l'accusé. Enfin, en apothéose glaçante, il conclut par la conversation que tiennent, de nos jours à Bagdad, deux hommes proches sur le terrain philosophique, mais victime et bourreau dans la guerre quotidienne.

Derrière ces drames, ces morts violentes, ces destins brisés, se profile la main diabolique du Malin. La leçon de toute l'affaire, le conteur la tire dès la fin du deuxième verset : «le Diable se doit de s'attaquer aux vertus. Les péchés ne sont que les inventions des hommes qui veulent contraindre leurs congénères à croire en Dieu [...]. Par contre, les vertus, que j'exècre comme vous vous en doutez, portent en elles toutes les perversités qu'il me suffit d'exploiter». Sur les délicats rapports du Bien et du Mal, Blaise Pascal, dans ses Pensées, ne disait-il pas, déjà : «L'homme n'est ni ange ni bête, mais le malheur veut que qui veut faire l'ange fait la bête»?