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Critiques de livres

Michel Claise
Salle des pas perdus
Loverval
Éd. Labor
2006
474 p.

Jours de guerre
par Thierry Detienne
Le Carnet et les Instants n° 146

Que reste-t-il encore à dire et à écrire sur la seconde guerre mondiale? Les historiens de la littérature ne manqueront certainement pas de souligner à quel point ce fait collectif majeur et douloureux a nourri la création de fictions au cours de la seconde moitié du XXe siècle. À lire Salle des pas perdus, le premier roman de Michel Claise, connu jusqu'ici pour son activité de juge d'instruction financier, on est porté à croire que le thème est inépuisable.

Situant son récit dans les années 1936-1945, le romancier croise les destins d'hommes et de femmes dont on ne trouve nulle trace dans les livres d'histoire de Belgique. Avec eux, nous voyons croître les opinions qui ont donné sa force au rexisme, l'étau qui se resserre peu à peu sur la population juive, l'envahissement de la Belgique, la constitution des réseaux clandestins de résistance, la terrible répression nazie, l'attente épuisante de la libération. Mais il nous parle avant tout d'hommes et de femmes qui avaient autre chose à vivre au printemps de leur existence. Ainsi en est-il de leurs amours naissantes et contrariées par le cours dramatique des choses. De leurs destins, il dévide le fil par épisodes qui se croisent, multipliant par le même coup les points de vue. Les récits s'en trouvent régulièrement suspendus, comme si leurs séquences se répondaient. Deux sœurs se découvrent toutes deux militantes de la Résistance à la faveur d'une mission qui les pose face à face alors qu'elles se croyaient étrangères en tout. Un homme désespéré s'engage parmi les troupes de Degrelle suite à un dépit amoureux, comme on prend l'autoroute en sens inverse mais revient blessé au terme d'un périple incroyable. Un homme d'affaires juif négocie dans le plus grand secret avec les autorités allemandes une amélioration matérielle du sort des prisonniers de sa confession contre monnaie sonnante et trébuchante. Dans une banlieue sordide, une jeune femme est violée par des hommes qui soutiennent l'occupant et est découragée de porter plainte en justice. À chaque fois, nous éprouvons les sueurs froides de la traque, livrés aux caprices du sort qui tire les bonnes et les mauvaises cartes. Mais le nœud du roman tient à ce que chacun de ces héros discrets a une relation propre à l'horreur qui le frappe, au côtoiement quotidien de la mort. Et sa façon bien à lui de grappiller les rares moments de bonheur, de se réchauffer au feu de la solidarité et, surtout, de traiter avec la haine et le désir de revanche.

S'il prend un plaisir manifeste à glisser çà et là des épisodes inédits et singuliers qui puisent dans les archives de notre histoire commune, Michel Claise s'impose avant tout comme un auteur à l'écriture soignée, au phrasé élégant. Soucieux de respecter la complexité des choses humaines, il ne dissimule pas pour autant l'admiration qu'il porte à l'acte de résistance quotidien et aux ruses déployées pour berner l'occupant. Et si nous tenions là une plume nouvelle pleine de promesses?