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Critiques de livres


Robert HALLEUX
Cockerill Deux siècles de technologie
Editions du Perron
2002
224 p.

Une histoire d'hommes et de technologie

« Continuez sans crainte vos grandes entreprises et rappelez-vous (sic) que le roi des P.B. a toujours de l'argent au service de l'industrie.» Voilà, comme elles ont été transmises, les paroles d'encouragement que reçut John Cockerill de la part de Guillaume Ier d'Orange, après qu'il eut fait en 1817 l'acquisition de l'an­cienne résidence d'été des princes-évêques de Liège. C'est en effet à Seraing, sous le ré­gime hollandais, que l'industriel d'origine anglaise installa ses ateliers et le siège administratif de ses diverses entreprises. Quelques années plus tard, la construction d'un haut-fourneau au coke fut entamée en bord de Meuse, première étape de la longue histoire de la sidérurgie liégeoise. L'ouvrage de Robert Halleux, Cockerill. Deux siècles de technologie, retrace par le menu les étapes de cette saga. Laquelle commence avec William, petit constructeur de machines à carder et à filer la laine, venu avec ses fils de son Lancashire natal pour proposer sur le continent ses machines tex­tiles et qui s'établit en 1799 à Verviers, à une époque où nos régions étaient fran­çaises. L'aventure se poursuit avec John, dont les établissements connaîtront l'expan­sion que l'on sait pour finalement devenir le symbole même de l'industrie lourde en Wallonie. Deux ans après la mort du fonda­teur survenue à Varsovie en 1840, un arrêté royal sanctionnait la formation de la « So­ciété anonyme pour l'exploitation des éta­blissements de John Cockerill ». Depuis, sur près de deux siècles, les mutations se sont succédé comme en témoignent les di­verses concentrations qui ont jalonné le passé de Cockerill Sambre. Jusqu'à la fusion du groupe avec le Français Usinor, le 9 fé­vrier 1999, et son incorporation, le 28 fé­vrier 2002, dans le géant mondial de l'acier Arcelor.

Le livre n'a cependant rien d'un catalogue récapitulatif et froid. Au contraire, son au­teur, directeur du Centre d'histoire des sciences et des techniques de l'université de Liège, y suit pas à pas l'évolution technolo­gique d'une industrie qui s'est d'abord nourrie du savoir-faire traditionnel du pays wallon — « terre de fer et de houille » s'il en fut — avant d'emprunter ailleurs de nou­velles façons de produire. Il s'intéresse aussi à ces hommes qui, parfois dès le second XVIIIe siècle, créent des entreprises fami­liales se transformant bientôt en sociétés anonymes et finissant par se rejoindre au sein de Cockerill Sambre. Il est attentif enfin à tous ces travailleurs, ouvriers autant qu'ingénieurs, sans lesquels la modernisa­tion des outils et la finition des produits mé­tallurgiques n'eussent pas été possibles. Même les luttes sociales, et nul n'ignore qu'elles ont souvent été vives dans le bassin sambromosan, ne sont pas passées sous si­lence. « Je ne pouvais pas étudier l'évolution des savoirs en métallurgie sans parler des hommes et du contexte sociopolitique, aime à répéter à ce propos Robert Halleux, car l'ingénierie technologique a marché de pair avec l'ingénierie sociale. »

L'interaction entre les connaissances et les groupes sociaux traverse en fait de part en part cette « somme » dont le titre Cockerill paraît un tantinet restrictif. Epaulé par une abondante iconographie — mêlant au noir et blanc la couleur et le sépia —, le lecteur y parcourt les trois grandes révolutions in­dustrielles que nos sociétés ont successive­ment connues à l'époque contemporaine : celle des machines à vapeur et de la fonte au coke ; celle de l'acier, de la chimie, de l'électricité et des moteurs à combustion in­terne ; celle du nucléaire, de l'informatique et des nouvelles technologies. Si la Wallonie s'est manifestement trouvée en tête des deux premières, elle a, en ce qui concerne le train de la troisième, « sauté dans le dernier wagon de justesse, non sans passer par un enfer ». Mais Robert. Halleux de pronosti­quer : « Elle remonte patiemment le convoi, jusqu'aux voitures de tête.  Puisse les forces vives de la région, et singulièrement Arce­lor, l'entendre !

Henri Deleersnijder