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Critiques de livres


Jeanne AUGIER
Colette et la Belgique
Bruxelles
Racine et Académie royale de langue et de littérature françaises
2004
268 p.

Claudine en Belgique

On serait conquis avant même de commencer la lecture du livre passionnant que Jeanne Augier consacre à Colette et la Belgique : le por­trait de la fille de Sido qui occupe toute la première de couverture est l'un des plus beaux qui soient. Le copyright ap­partenant au journal Le Soir, on est dans le bain tout de suite. Quelques-uns des rapports de Colette avec la Belgique étaient bien connus. Par exemple, le fait qu'elle avait été choisie, le 9 mars 1935, par les membres de l'Académie royale, en qua­lité de membre étranger pour occuper le fauteuil d'Anna de Noailles. À sa mort, ce sera Jean Cocteau qui lui succédera. Toute une génération de romanistes lié­geois au moins se souviennent particu­lièrement de ces événements car Fernand Desonay, professeur d'histoire littéraire et d'analyse de texte à l'Uni­versité de Liège avait été chargé de pro­noncer le discours de réception du nouvel académicien le 1er octobre 1955 et avait longuement parlé des deux écri­vains dans ses cours, consacrant d'ail­leurs une année entière à l'analyse du Fanal bleu en candidature et de L'ange Heurtebise en licence. On savait aussi que, bien avant son élection à l'Acadé­mie, Colette avait fait de fréquents sé­jours à Bruxelles surtout, mais aussi à Liège et à Gand, au cours de ses diffé­rentes carrières, comme artiste de music-hall et de théâtre, puis comme conférencière. Mais le livre de Jeanne Augier révèle une infinité de détails soit encore inconnus soit jamais reliés entre eux de manière aussi claire : c'est, selon un schéma cohérent, tout un parcours dont l'auteure reconstitue avec patience et talent la continuité. Les liens de Co­lette avec la Belgique remontent bien avant sa naissance et sont d'abord fami­liaux. Le grand-père maternel de Co­lette, Henri Landoy, qui avait participé à la bataille de Waterloo et s'était en­suite établi et marié à Paris, va à se rendre Bruxelles pour fuir ses créan­ciers. Il devient fabricant de chocolat et y demeure jusqu’en 1854. Ses deux fils l'avaient accompagné. Le premier, Eu­gène, a exercé l'essentiel de son activité de chroniqueur, éditeur et critique d'art à Bruxelles : il signait du nom de Bertram. L'autre fils, Paul, fut, entre autres, directeur du casino d'Ostende. La der­nière née (légitimement du moins) d'Henri Landoy n'est autre que Sido qui rejoint son père et ses frères à Bruxelles à l'âge de sept ans. C'est elle qui évoquera souvent pour sa fille les charmes de sa vie dans la capitale belge, souvenirs qui peupleront, transfigurés par la poésie, La Maison de Claudine. Mais Sidonie Gabrielle, née du second mariage de sa mère avec le capitaine Colette, va vivre une longue histoire propre de relations avec la Belgique, lors de ses tournées théâtrales, de ses conférences littéraires ou esthétiques, lorsqu'elle fonde une ligne de parfums et de cosmétiques, et surtout lorsqu'elle écrit à temps plein. Un de ses textes est publié dès 1909 dans l'anthologie de Louis Piérard et, la même année, ses Dialogues de bêtes et La retraite senti­mentale sont mis à l'honneur par la Li­brairie du Sablon. Journaliste au Matin, à Paris, elle y publie ses premières cri­tiques de théâtre et puis en assure la di­rection littéraire. C'est alors qu'elle ren­contre André Bâillon qu'elle estime beaucoup et, plus tard, donnera sa chance au jeune Simenon qui publiera soixante-neuf nouvelles dans Le Matin. Elle a souvent déclaré qu'elle se sentait chez elle à Bruxelles. Mais c'est près de Houyet qu'elle se retire, en 1928, pen­dant les mois d'hiver, pour terminer La seconde. Elle réside au « Château d'Ardenne », un palace entouré de bois et dominant le Val de Lesse. Résidence royale, conçue par Léopold II, mais qu'il n'a jamais habitée, bien qu'il ait fait construire au pied du promontoire une gare privée, la « Halte d'Ardenne » qui existe encore aujourd'hui, alors que « l'affreux château » sera détruit par un incendie, en 1968. Pour accompagner cette histoire « de proximité et d'amour » qui se lit comme un roman, Jeanne Augier a regroupé une masse im­pressionnante de documents : toute une série de témoignages écrits de Colette, lettres ou souvenirs, où elle évoque les paysages, les villes de Belgique, les gens, les animaux du zoo qu'elle visite à An­vers, par exemple ; une iconographie abondante, des photos d'archives, des témoignages prestigieux. Les relations de Colette et la Belgique sont aussi le propos d'un autre livre, pu­blié par les éditions Convaincre, qui évoque l'essentiel de l'exposition qui s'est tenue à la Maison du Livre en no­vembre et décembre 2004 et notam­ment les contributions de plusieurs cri­tiques, écrivains ou artistes à propos de la romancière, dont une courte antholo­gie de textes clôt le volume.

Jeannine Paque

 

 

Collectif, Regarde : Colette par les sens. Colette et la Belgique..., Baudour, Ed. Convaincre, 2004