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Critiques de livres


Carnet d'un Dessert de Lune à 46 pieds au-dessus du niveau de la mer du Nord
Bruxelles
Les Carnets du Dessert de Lune
2005
95 p.

Carnet de notes d'un poète
par Laurent Demoulin
Le Carnet et les Instants n° 141

Deux livres, qui ont pour points communs de présenter un titre commençant par le mot «Carnet» et de paraître aux éditions Les Carnets du Dessert de Lune, sont arrivés dans la boîte aux lettres de votre Carnet : il s'agit de Carnet d'un poète assis sur l'horizon d'Antonello Palumbo et d'un ouvrage collectif, Carnet d'un Dessert de Lune à 46 pieds au-dessus du niveau de la mer du Nord. Je vais évoquer rapidement le second pour mieux me consacrer au premier.

Pour fêter le dixième anniversaire de la maison qu'il dirige, Jean-Louis Massot, a demandé à quarante-six de ses auteurs d'écrire un texte brodant de près ou de loin autour du curieux nom de sa maison. Cela donne un livre par définition sympathique, disparate, inégal, ludique. Dire qu'il permet à la fois de croiser un moment le chemin d'auteurs célèbres (comme Brautigan) et de découvrir des écrivains moins connus serait peut-être excessif dans la mesure où il est difficile de rencontrer une écriture à travers un seul texte court. Les contributions ont tendance à se substituer les unes aux autres dans l'esprit du lecteur. Par contre, le livre refermé, une impression d'ensemble demeure, à la fois fragile et profonde. Et celle-ci est tout à l'honneur de l'éditeur, car, malgré les nombreux changements de ton, on devine une unité dans cet ensemble, ou plutôt deux unités : d'un côté l'humour verbal plus ou moins mordant, de l'autre la poésie.


Antonello Palumbo
Carnet d'un poète assis sur l'horizon
Bruxelles
Les Carnets du Dessert de Lune
2005
133 p.

Ce dernier mot nous amène tout naturellement à Antonello Palumbo. Là aussi, il est nécessaire de s'intéresser un moment aux circonstances de la publication. Poète et critique de cinéma, Palumbo, qui vivait dans la région de Charleroi, est décédé en 1994 à l'âge de trente ans après avoir publié un seul recueil (L'horizon de nous en 1989, dans la maison d'édition qu'il animait). Soulignons la belle obstination des Carnets du Dessert qui publient ici pour la quatrième fois un livre de ce poète disparu il y a plus d'une décennie. Le Carnet d'un poète... constitue même en quelque sorte une espèce de premier tome des œuvres complètes de Palumbo, puisqu'il s'agit de la réédition de trois de ses livres regroupés en un seul : L'horizon de nous, Carnet d'un cinéphile assis sur l'horizon et Pour l'instant. Le premier et le troisième sont des recueils de poèmes, le second rassemble des chroniques cinématographiques parues dans la revue RegarT entre 1990 et 1992. Étrange association, me direz-vous, et il est vrai que la chronique cinématographique est la partie la moins intéressante : le temps n'est pas favorable à ce genre, qui répond à une certaine urgence et ne laisse pas au critique l'espace d'une véritable analyse. Toutefois, si l'on considère cette seconde partie non du point de vue des films traités, mais de l'auteur, elle peut servir en quelque sorte à illustrer les recueils de poèmes : à travers les jugements émis, elle nous laisse entendre qu'Antonello Palumbo avait, osons le mot, un grand cœur.

Venons-en à sa poésie, dont il faut louer la fraîcheur, la simplicité, la précision et l'évidence. Ces qualités manifestes n'excluent pas une certaine recherche scripturale, dotée même d'une grande cohérence. Ainsi, L'horizon de nous est tout entier bâti sur un critère de construction formelle : les poèmes, disposés en vers libres et titrés « Histoire » suivi d'un numéro, contiennent chacun une première partie écrite à la première personne du pluriel sur un ton quelque peu manifestaire (même s'il s'agit d'un manifeste presque abstrait) et une seconde partie très courte, imprimée en italiques et commençant tous, à une exception près, par les mots «C'est l'histoire d'un homme» : «C'est l'histoire d'un homme / qui vient d'un pays où il n'y a pas de fleurs. / Le jour où il en voit une, il tombe, il meurt.» ou «C'est l'histoire d'un homme / qui renie sa condition d'homme. / Il rêve de devenir une chose, / immobile à jamais certes, / mais sans plus de combat à mener / (et à perdre). / Ce coupe-papier perdu à jamais / dans le fond du grenier.»

Aucun dispositif comparable ne préside à Pour l'instant, qui obéit à une tout autre logique : jeune poète, Palumbo était au début de son parcours et cherchait sa voix... ou bien venait-il de la trouver? Les poèmes de cet ultime recueil vont loin dans le dénuement, formel aussi bien que thématique : il s'agit de petits tableaux du quotidien ou de très brefs souvenirs, presque des notes, des ébauches de narration en vers libres, des moments insignifiants volés sans raison apparente à l'oubli : «Je la regarde / Elle est en train de rêver / Elle ne bouge pas / Ni les yeux / Ni les mains / Immobile // Puis / Un léger mouvement / Un son / Presque rien / Elle revient / Elle continue / Elle oublie / Elle veut oublier.» Une grande paix se dégage de ce recueil qui méritait bel et bien de renaître.