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Critiques de livres

Quand les démons se mettent à écrire...

Je ne suis pas sûre d'avoir tout compris... Les voleurs de mots, ceux de la sep­tième nouvelle, ceux de Recours aux mots... ce sont les mêmes qui, dans la sixième nouvelle, flanquaient le tournis à un staff de journalistes en les privant de leur vocabulaire ? Pourtant non. C'est im­possible. Ce doit être un clin d'œil. Mais je ne suis pas sûre d'avoir saisi... Les extra-terrestres d'Une sphère blanche et lisse sont-ils les responsables de la déréliction des deux armées en présence dans Attente de l'ennemi ? D'ailleurs, cela n'a aucun intérêt. Je me demande pourtant si le roi de L'âme noire est mort à l'intérieur des frontières de son royaume... L'idiotie me guette. Ou alors j'ai fait preuve d'un manque total d'at­tention. Ou alors tout était prévu, mani­gancé à l'avance : quelqu'un, à cette heure, se délecte de mes atermoiements. Je ne suis peut-être que l'un des personnages des Contes des jours d'imagination d'Yves Wellens, simplement le rêve d'un autre. « Le livre finissait ainsi. L'auteur n'avait même pas cru bon de relater l'arrestation du tyran dont il décrivait si minutieuse­ment la chute. » Cette phrase, arrachée sans ménagement à son contexte, la quatrième nouvelle (A livre ouvert) du dernier recueil de Wellens, pourrait d'une façon ou d'une autre s'appliquer à chacune des histoires qu'il raconte. L'auteur possède en effet la manie d'éclairer des détails qui, dans la stricte économie de ses intrigues, s'avére­ront n'avoir d'autre importance que de cap­tiver le lecteur pour mieux l'égarer par la suite. Il est expert dans l'art de laisser des blancs, de ménager des flous, de poser des questions dont on se demande sans cesse s'il nous donne seulement les moyens d'y ré­pondre. Au-delà des raisons et des causes, toujours, le mystère reste entier, lumineux comme un astre, inquiétant comme la fata­lité, ou comme la faillite de nos propres fa­cultés. Mais ce n'est pas la résolution des énigmes qui semble importer. Plutôt le jeu d'en décrire les rouages. Et l'écriture paraît bien un jeu pour Wellens. Partout le plaisir des diversions stratégiques est manifeste, celui aussi de prêter à sa langue bien élevée des modulations ironiques, quelques éclats de rire ressemblant, ci et là, à des ricane­ments. L'enfant, derrière l'écrivain, s'active sans arrêt. Mais sa tête blonde n'est que le leurre des adultes. Il entend tout, comprend tout, est capable de modifier le cours du destin de sa famille... Comme le petit Ludo du Joueur, il dissimule de la ruse sous son apparente docilité. Il détient toutes les fi­celles et le lecteur des Contes, au fil de ses découvertes, acquiert peu à peu la conviction de ne pouvoir se départir de sa meilleure vigilance.

Goût du jeu, maîtrise de la langue, et plaisir aussi d'endosser les vêtements de genres très différents, passant du merveilleux à la fable morale ou philosophique, du récit à faire peur aux satires politico-sociales démontant pièce à pièce la machine protocolaire pour souligner son efficacité et son inanité fon­damentale. Souvent chez Wellens, le texte va jusqu'à se mettre lui-même en scène, à la manière de ces personnages de bouffons qui désirent contrecarrer les moqueries qu'ils pressentent à leur endroit... Comme s'il était question d'anticiper les conséquences de la publication, de l'exposition du livre, les forces susceptibles de l'écraser, de le ré­duire, « toutes les tentatives de l'abaisser ». « L'enfant déposa la grue à terre, et prit son fétiche dans les bras. Puis il se tourna vers l'assemblée et dit simplement : « Voyez, je suis arrivé à l'âge où je puis enterrer moi-même ! » Les jouets se tenaient très raides devant la fosse. L'enfant ne pouvait deviner s'ils approuvaient ses paroles. » La littéra­ture ne serait-elle qu'une série de jolis en­terrements, en grandes pompes ou fanfre­luches, et remplis de symboles ? Ou au contraire un monde de sortilèges où morts et résurrections se succèdent et se valent, et dont les personnages, comme ceux de Traits noirs, ont tout loisir de se faire la malle quand ils en ont assez ? En tout cas, les textes d'Yves Wellens illustrent à l'envi le désir de la constituer en objet, et, avec elle, toutes les libertés qu'elle propose, toutes les limites auxquelles elle se heurte.

Françoise Delmez

Yves WELLENS, Contes des jours d'imagi­nation, Didier Devillez Editeur, 1996, 160 p.