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Critiques de livres


Fidéline DUJEU
Coquillages
Editions du Somnambule Equivoque
2004
65 p.

Brûlures de l'âme

De Fidéline Dujeu, son éditeur nous dit qu'elle « passe sa vie à lire, écrire et faire des enfants. Occa­sionnellement, elle conte, elle enseigne, elle peint ». Voilà qui est charmant. On l'imagine aussi composant sur la plage des tableaux de coquillages et regardant la marée les ensevelir. Comme son héroïne, Chloé, dont Renaud, séduit par l'image, puis par le personnage, tombe aussitôt amoureux. Follement, il va sans dire. Les débuts de leur mariage sont idylliques. Renaud, photographe de son métier, réduit ses reportages sur les catastrophes surgissant aux quatre coins du monde. Chloé peint. Saisons magiques dans une maison à la campagne, où Renaud ne doute pas que sa jeune femme guérira du drame de son en­fance : une imprudence, elle jouait avec du pétrole près du feu ouvert, la chemise de nuit qui s'enflamme, des brûlures dont elle garde les marques indélébiles. Mais les couleurs tendres des premières toiles de Chloé s'altèrent ; elle traverse des crises d'absence au monde, de désespoir ha­gard. Signaux d'alarme que tous deux veu­lent éluder.

La naissance de deux enfants les comble, Chloé rayonne, les vieux tourments sem­blent effacés. Pourtant, une fois venu pour Martin et Charlotte l'âge d'aller à l'école, Chloé retrouve l'atelier et ses démons. Mo­delant jusqu'à l'obsession des corps estro­piés, meurtris ; s'enfonçant dans une folie murée qui l'absorbe au point qu'elle ne s'aperçoit pas que l'eau du bain de Char­lotte est bouillante, et que la petite fille aura le pied gravement brûlé. Pour ne pas laisser Chloé s'égarer sans retour au fond d'un labyrinthe d'angoisses, de remords et de délires, Renaud tente de re­monter le cours du temps, de recueillir des indices, comme on ramasse des coquillages ou rassemble les pièces d'un puzzle. Il retrouve dans un asile la mère de Chloé, dont elle a depuis longtemps perdu la trace : Eva, qui fut mannequin, modèle, et, coupée de la réalité, vit toujours à l'heure de ses succès, de ses plaisirs, de sa passion pour son ancien compagnon Pierre. Celui-ci confiera à Renaud l'ultime pièce du puzzle après que, sans s'être jamais revues, Eva et Chloé se sont suicidées le même jour, au même instant, comme si elles s'étaient enfin rejointes ...

Le drame est consommé. Il est à jamais trop tard. Cependant, l'épilogue, rose et gris, nous montre deux enfants s'amusant à dis­poser des coquillages sur le sable, veillés par un homme qui sourit... Ce premier roman, bref comme un sanglot, est mené rapidement, d'une écriture acidu­lée, hachée (un peu trop systématique­ment), qui n'évite pas des formules toutes faites (Elle était belle à mourir et confond parfois les mots (« recouvert » et « recou­vré », par exemple).

Il figure dans la collection « Fulgurances » d'une toute jeune maison d'édition nom­mée Le Somnambule équivoque. C'est beau, la fulgurance. L'exigence, aussi ...

Francine Ghysen