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Critiques de livres

Jean-Marie Corbusier
Figures de l'ouvert
Châtelineau
Le Taillis Pré
2005
108 pages

Blanc sur fond bleu
par Laurent Demoulin
Le Carnet et les Instants n° 143

Il n'est pas facile de rendre compte d'un recueil de poèmes tel que Figures de l'ouvert que Jean-Marie Corbusier a fait récemment paraître au Taillis Pré, car il s'agit d'un objet littéraire très délicat, très précis, qui risque de s'effaroucher aux moindres mots prononcés à son endroit, comme se désagrègent au premier contact les pétales du coquelicot que l'enfant cherche à cueillir. À ce propos, il est question de fleurs, justement, dans ce livre, qui s'ouvre sur une section intitulée «Rose». Trois autres parties lui succèdent : «Glacier», «Nuit», et «Soleil», mais des liens thématiques et formels les unissent étroitement, de sorte que le mot «recueil», que j'ai employé par habitude en commençant cet article, ne convient pas tout à fait. Il ne s'agit pas de poèmes rassemblés au hasard après un certain laps de temps, mais d'un livre d'une grande cohérence, où tous les textes obéissent aux mêmes lois poétiques. «Lois» : voilà encore un mot trop fort. Disons plutôt au même ton. Mieux : au même demi-ton, comme on parle de demi-teinte. Car ce dont il est question dans ces petits poèmes en vers libres (longs en général de sept ou huit vers), c'est de l'effacement, de la blancheur, de l'indicible, de la disparition : «Pétale après pétale / tu regagnes épanouie / l'absence / tu resplendis / souvenir inachevé / de la dernière chute / éparse / par la nuit entrouverte». La disposition des vers n'est pas régulière sur la page : les blancs, qui occupent parfois une demi-ligne avant de céder la place aux mots, ont ici sans doute une grande importance. Aucune espèce de ponctuation ne souligne le propos.

Notons que cette thématique diaphane correspond surtout aux deux premières parties : «Rose» et «Glacier». Dans certains passages de «Nuit», au contraire, Corbusier parle d'une présence pleine, absolue, comme dans ce poème dont les deux premier vers font peut-être référence, par la grâce d'un clin d'œil intertextuel, à «Dans la nuit» d'Henri Michaux : «Nuit sans limite / tel un cri / libre de son écho / un coude au chemin / comme un élan au bout de lui / tu vas jusqu'au visible / la face poreuse / du temps et de la peur». Mais présence pleine ou effacement se rejoignent dans la tautologie, l'une ne disant rien d'autre qu'elle-même («la nuit vient toujours après la nuit») et l'autre ne se distinguant pas du décor («Blanc sur blanc»). La dernière partie, «Soleil», ne permet en tout cas pas de trancher le différend qui oppose la rose et le glacier blanc à la nuit noire. Le soleil ici n'éblouit rien du tout : il est brumeux, oserais-je dire, dans la mesure où il regroupe en lui les attributs contradictoires des autres éléments. Présence de lumière et disparition : «Jour et nuit confondus / l'espace / où contredire / vacille / cette page de face / aveuglant / comme une parole perdue / dans l'invisible». Faut-il voir ici, à travers l'allusion à la page et à la parole, un art poétique en bonne et due forme? Qui sait? Mais ne le dites pas trop fort : pas de grands mots à propos de ce livre tout de douceur, de sagesse et de volupté.