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Critiques de livres


Roland BEYEN
Correspondance de Michel de Ghelderode
tome 6 (1946-1949)
Labor
coll. Archives du Futur
Bruxelles
2000
653 p.

Adulé par les uns, calomnié par les autres

Ecrite pour l'essentiel entre 1925 et 1940, l'œuvre de Michel de Ghelderode n'est véritablement découverte par le public français qu'à dater de 1947. Lavé de tout soupçon d'incivisme (il avait été lourdement sanctionné par son employeur, la commune de Schaerbeek, pour avoir colla­boré à « Radio-Bruxelles », station contrôlée par les nazis), il est avide de revanche. La première parisienne de Hop Signori ! , qui a lieu le 13 juin 1947, déconcerte tant le public que les critiques. Si Thierry Maulnier y voit « une des œuvres les plus fortes » présentées cette année-là dans la capitale, Paul Guth note pour sa part : « La saison théâtrale de Paris, si pâle en ses débuts, se réhabilite par cette révélation qui est son grand événement, surprenant de soudaineté et d'ardeur, comme un flot de neige et de sang jailli de l'été. » A son avocat et ami Paul-Aloïse De Bock (futur lauréat du Prix Rossel), le drama­turge écrit : « A quoi bon triompher à Paris, si cette Belgique que j'aime et où je ne pourrais ne point vivre, continue d'être une terre hostile, où je suis tenu en exil pour des crimes que je n'ai pas commis !... » Le 21 décembre 1947, c'est au tour de René Dupuy de mettre en scène Escurial. Dans l'ensemble, la critique est favorable et, dans les colonnes du Figaro, Jean-Jacques Gau­tier peut écrire : « Shakespeare... oui, peut-être aussi un peu Hugo... Mais quelle ampleur, quelle frénésie concentrée, quel tempérament ! Et surtout quel style admi­rable d'éloquence et de plénitude ! » Encensé et adulé par les uns, calomnié et traîné dans la boue par les autres, de Ghelderode « ne redeviendra plus jamais le bon vi­vant qu'il était au début des années trente ».

C'est l'image d'un homme amer, désabusé, blessé dans son amour-propre et son orgueil (« J'ai connu la persécution, la pauvreté, les affronts, voire la haine », confessera-t-il en 1960 en évoquant ces années) que nous donne à découvrir sa correspondance. Les quelque trois cent lettres et cartes qui composent le présent volume ont été choi­sies tant pour leur intérêt documentaire que pour leurs qualités stylistiques. Les re­cherches entreprises depuis maintenant trente ans par Roland Beyen, professeur à l'Université Catholique de Louvain et mem­bre de l'Académie royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique, lui ont permis de récolter pas moins de 15 000 do­cuments épistolaires. C'est un choix signifi­catif (l'intégrale eût nécessité plusieurs di­zaines de volumes !) qui est édité. Notes, répertoire des correspondants, tables des lettres et des correspondants, voilà au­tant d'outils qui viendront en aide tant au simple lecteur avide de satisfaire sa (légi­time) curiosité qu'au chercheur.

Michel Tack