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Critiques de livres

Dominique Costermans
Y a pas photo
Éd. Luce Wilquin
2006
94 p.

Au commencement était l'image…
par Nicole Widart
Le Carnet et les Instants n° 144

Dominique Costermans, «journaliste, nouvelliste, Bruxelloise et distraite», publie chez Luce Wilquin son quatrième livre, Y a pas photo. L'auteure ne se présente pas comme photographe, même si elle signe la photo de la couverture, le portrait fugitif d'une voyageuse ferroviaire, même si la photographie est en fait son obsession. Elle revendique haut et fort la ressemblance avec des situations réelles, des personnages vivants; point question de coïncidence ici, tout est décryptable à volonté.

Allons-y, ces vingt-cinq micro-nouvelles en disent long sur leur génitrice, ses amis, son irrépressible envie d'appuyer sur la gâchette de son appareil photo et l'impossibilité trop fréquente d'y arriver : piles faibles, gardiens de musée, timidité, absence de lumière se conjuguent pour empêcher la photographie d'exister.

Alors, le regard se prend au jeu des mots. L'image ne peut pas se voler au 125e de seconde? L'écrivain la décrit : la vieille Albanaise, toute noire, sèche et ridée, en route clopin-clopant pour le Delhaize, surgit devant nous. Les cent vingt paires de jambes qui se sont arrêtées devant le portrait de Matisse par Cartier-Bresson exposé à Berlin, pendant que la narratrice contemplait l'œuvre, se déclinent en santiags, talons aiguilles et autres fantaisies pédestres. Apparaissent trois grues photogéniques dans la lumière jaune d'un ciel de plomb, Jean-Pierre Verheggen en statue romaine, le vert foncé d'un petit biscuit qui fait penser à la couleur des bonbons Macintosh, un vert suranné, indescriptible, le chat et le bébé du Mokafé, les néons glauques de la gare du Nord et le reflet de son propre visage. La vie de tous les jours cadrée par un regard qui y découpe des tranches et les partage grâce aux mots. La vie, quoi. La plume virevolte, téméraire, légère, sans contrainte, là où le déclic de l'appareil photo risque de déclencher la colère, l'incompréhension, le refus, voire une action en justice.

Car le droit à l'image est contraignant : on ne peut pas photographier un bâtiment sans l'accord de l'architecte qui l'a créé, on ne peut pas photographier un monument sans l'autorisation officielle de la Ville qui l'abrite, on ne peut pas tirer le portrait d'une personne sans son consentement. Ou, en tous cas, si on vole ces photos, elles doivent rester secrètes, intimes, pas question de les publier…On n'imagine pas Dominique Costermans faisant signer une telle autorisation à ses personnages entraperçus, qu'elle aime saisir dans leur abandon : les vieilles Romaines, les endormis ferroviaires, les amoureux, les vieux… et c'est tant mieux, grâce à cela, on obtient en prime les interrogations, les remords, l'humour et quelques bribes de la vie de l'écrivain.