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Critiques de livres

Stanislas Cotton
La Compagnie de l'Ephémère
Avin
Éd. Luce Wilquin
2006

La chamade des baladins
par Laurence Vanpaeschen
Le Carnet et les Instants n° 144

Stanislas Cotton, on le sait, est un homme de théâtre, qu'il joue et qu'il écrit, magnifiquement. Il publie ici son premier roman, moins puissant que son théâtre, sans toutefois s'en éloigner, puisque c'est de la scène qu'il parle.

Nous suivons une journée de la tournée d'été d' une petite compagnie, en Provence peut-être, dans une région de collines, pays du vin, présent sans cesse et qui va couler à flots. Deux danseurs, le chorégraphe, et le régisseur au volant d'une camionnette baptisée Terpsichore : la «Compagnie de l'Ephémère» va vivre devant nous de midi à l'aube, au rythme particulier des baladins, qui fêtent la nuit la représentation du soir, ouvrent les yeux et reprennent la route quand le soleil est au zénith.

Ce village-ci, Colin le chorégraphe le connaît déjà. L'an dernier, ses habitants avaient aimé son travail, lui avait aimé les murailles du Moyen Age, la boulangerie où le pain est si bon, le bar de Monsieur Pierremonde, la vie qui tourne tout entière autour de la vigne… Le temps est lent avant l'accélération du soir, la fièvre et les coups de chamade sans cesse recommencés de la représentation qui déroulera «son fil éphémère et unique (…) parce que c'est le propre de la scène, le propre du spectacle, de ne jamais être le clone de ce qu'il était la veille» Cela permet aux quatre nomades de l'été des errances intérieures que nous suivons pas à pas. Adélius le danseur, écorché par une enfance martyrisée, qui lance son mal au monde dans des poèmes blessés, assailli par le souvenir d'un père bourreau qu'il a «abandonné au dépotoir des illusions» et dont il n'arrive pas à faire le deuil. Zelda la belle, qui marche et danse comme un animal ailé, elle qui a failli ne pas naître lui a raconté sa mère. L'aimée de Colin, qui fait de la chorégraphie une poésie et qui voudrait tellement trouver la porte de la perfection. Eliodor le silencieux, le régisseur qui aime trop le vin, et qui une fois le rideau tiré, pense à l'amour qu'il voudrait offrir à sa mie qui travaille au supermarché où il fait ses courses…

Et les villageois, avec les amours naissantes du bon docteur Ferréol et de madame le Maire, les amours mortes du couple Lampignol, qui se déchire, le secret mal gardé de Monsieur le curé, qui aime trop le vin et entoure parfois le dernier verre de photos de demoiselles en déshabillé, la solitude de mademoiselle Eline, gaie comme une grosse petite fille, qui est si contente de fêter ses soixante-quatorze ans le soir de la représentation…

Tous se retrouvent, le temps du spectacle, le temps de la fête, le temps d'un moment où les cœurs et les corps vont se toucher, se prendre, s'entrecroiser sous la lueur rouge et folle de mars et de la peine lune. Comme au dernier jour du monde. Jusqu'à ce que la naissance de l'aube tourne la page du calendrier, que le soleil amène la paix, que des questions aient trouvé leur réponse, que certains finissent leur vie et d'autres la commencent, comme au premier jour. «Les fées ont éteint les feux, capturé les vents de folie et remis de l'ordre dans le cours des choses.»