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Critiques de livres

Ghislain Cotton
Tangomania
Loverval
Labor
coll. Grand Espace Nord
2006
274 p.

Pas de deux
par Thierry Leroy
Le Carnet et les Instants n° 146

Paru il y a quelques mois chez Labor et récemment couronné à Paris par le prix Thilde Monnier de la Société des Gens de Lettres, Tangomania est le cinquième roman de Ghislain Cotton. Il repose principalement sur la rencontre entre deux personnages aux caractères apparemment incompatibles : Joseph Monk, un journaliste culturel un rien désabusé et Carlo Sholtès, un ancien violoniste virtuose qui a mis fin brutalement à sa carrière quelques années avant de disparaître. Le premier doit consacrer un article au second dans le cadre d'un feuilleton estival de son journal consacré aux mystères des stars qui ont quitté les feux de la rampe.

Monk retrouve assez facilement la trace de Sholtès dans les Ardennes françaises mais décide de ne pas faire son article, préférant, au vu de la première version des faits qui lui est donnée, préserver la retraite de l'artiste. À la faveur de circonstances que le lecteur découvrira, Monk devient un familier de la région qui devient rapidement pour lui un vivier amical et amoureux.

Le personnage de Monk ne propose évidemment pas un autoportrait de l'auteur, il n'empêche que Monk, comme Cotton, s'occupe des pages littéraires d'un journal belge, qu'il est également romancier et que l'analyse tonique et caustique qu'il fait de la critique et des milieux artistiques doit refléter quelque peu les positions de l'auteur.

Ghislain Cotton est un fin connaisseur de nos lettres. Il a ses auteurs de prédilection dont on peut deviner l'influence dans Tangomania. Comme François Emmanuel, il se sert d'une trame vaguement policière moins pour résoudre une énigme que pour analyser en profondeur les psychologies de ses protagonistes. Mais il préfère un ton mi-débonnaire mi-nostalgique à la quête existentielle. Comme Michel Lambert, il assemble, autour de ses héros, une constellation de personnages secondaires qui étayent et densifient l'axe principal. Mais il les dote d'un vécu beaucoup plus romanesque. Le roman évoque l'actualité dramatique – l'assassinat de Sadate, le Heysel ou la Marche blanche – mais tous ces événements sont traités sans l'angélisme habituel qui les sacralise, avec une bonne dose de scepticisme quant à la sincérité de l'engouement spectaculaire qu'ils suscitent.

La structure narrative est un régal. Tout en développant une histoire reprise dans sa chronologie, Cotton parvient à reprendre les faits plusieurs fois et à en infléchir, voire en contredire, l'interprétation en fonction des sources d'informations privilégiées par les différentes parties du livre. On songe à une version du Quatuor d'Alexandrie ramassée en un seul volume qui se dévore comme un Simenon sans meurtre, quoique… Comme notre gloire nationale du polar, l'auteur s'efforce de gratter les vernis, de faire tomber les masques, de découvrir les secrets qui figent les destins de ses personnages et conditionnent leur quotidien, mais il sert une vision du monde où la tendresse l'emporte largement sur la grisaille.