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Critiques de livres


Jacqueline DE CLERCQ
Courts circuits, haute tension
Ed. L'Arbre à Paroles
« Traverses »
Amay
1996
43 p.

Instantanés et voyages

Avec des textes situés à mi-chemin entre le poème et la nouvelle, le monologue intérieur et l'évocation de peuples lointains (on pourrait presque décliner les genres à l'infini), Jacqueline De Clercq place son dernier recueil sous le signe de l'errance. Ce sont forains, Tziganes, bergers de l'ouest algérien que rassemblent, au-delà des particularités ethniques ou culturelles, la marginalité et la haine imposées. Mais De Clercq semble surtout vouloir fixer des instants comme autant d'émotions, avant que l'oubli des civilisations domi­nantes, la paresse des hommes ou la vie quotidienne ne les anéantissent. Une mère croit voir tomber sa fille d'un « carrousel à chaînes » : illusion qui marquera profondé­ment sa psychologie. Un alezan passe au galop dans les rues d'un village roumain. Après ? Tout paraît en l'état, sauf peut-être dans l'œil d'une touriste occidentale. Des bergers traversent les plaines du Sahara à la recherche de l'herbe précieuse. Ils marchent depuis toujours, mais pour combien de temps encore ? A ce texte, des fragments de poèmes apportent une part d'éternité (ges­tes rituels et martèlement des noms pro­pres), qu'une inquiétude fendille bientôt. Une petite fille insouciante joue sur les ro­chers. Soudain, la mer la rejoint. Ailleurs, une femme nue ou demi-nue, couchée dans un jardin. Une autre femme, demi-nue, as­sise en tailleur à l'intérieur d'une maison. La première femme sera le modèle, l'image. La seconde, le peintre. Sont-elles là pour autre chose que l'étreinte, la dilution défini­tive en encres colorées sur un tableau ? Enfin, les rythmes du carnaval de Binche rencontrent ceux du Sénégal. Le temps d'une conversation.

Ecrivain, journaliste, sociologue, Jacqueline De Clercq, avec Courts circuits, haute ten­sion (le titre n'est peut-être pas la meilleure trouvaille du recueil) se fait peintre, ethno­logue, géologue, mais surtout gardienne des moments furtifs qu'elle repère en fines cre­vasses à la surface du monde et auxquels elle rend, le temps d'un poème ou d'une nou­velle, leur pouvoir fondateur. Par-delà les frontières de toutes sortes (temporelles, ar­tistiques, ethniques, étatiques) s'ébauchent des rencontres dont le rêve, parfois, semble être la fusion parfaite, et peut-être, para­doxalement, la paix de l'oubli.

Françoise Delmez