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Critiques de livres


Alain van CRUGTEN
Stef et autres fictions
Avin
Ed. Luce Wilquin
2005
156 p.

L'actualité à la moulinette

Imaginez votre journal télévisé quoti­dien : les histoires se succèdent, du crime crapuleux à la débâcle en Rus­sie en passant par les derniers avatars des ruptures routinières entre Flamands et Wallons, l'overdose qui a tué un jeune squatter bruxellois un peu dealer, un peu mafieux, les images d'un prédi­cateur qui attise le feu des foules, quel­ques plans du tournage d'un film sor­tant dans les salles, un billet sur la malbouffe et l'obésité qui en découle... Supposons que votre imagination s'en­flamme. Vous vous emparez des noms des divers protagonistes et vous réécri­vez leur histoire. Toutes les images avant et après les quelques images fugi­tives que la télé a daigné vous jeter en pâture, vous les inventez. C'est le senti­ment que l'on éprouve en lisant Stef et autres fictions qu’Alain van Crugten vient de publier aux éditions Luce Wilquin. On y découvre un kaléidoscope d'histoires qui font les titres des journaux avant de sombrer dans l'anonymat et l'oubli et qui sont passées par le filtre de l'ironie grinçante de l'écrivain. Voici Stef, qui hurle à la face du psy­chiatre tous les malheurs de sa vie, la haine pour son père, pour son beau-père Joseph, pour sa mère, l'incompré­hension, les préjugés, l'enfermement dans un monde de bourges. De figure elliptique d'un fait divers, elle devient personne, puis personnage. L'écrivain nous entraîne au cœur de son délire, de son errance de baraque pourrie en cave moisie, sa plongée dans la déchéance, la came, la prostitution. Voici Rocky, coureur cycliste lituanien dopé par l'EPO et une molécule nou­velle pour gagner une course au pays basque : la rencontre avec Rocky 2, chef d'un groupuscule flamand lui sera fatale ! Emballé dans un gigantesque double drapeau jaune au lion noir, il périra étouffé dans l'ambulance. En étant présent sur toutes les lignes d'arri­vée des courses cyclistes du monde en­tier, le groupuscule met le drapeau fla­mand au premier plan sur toutes les télés du monde. C'est calculé scientifi­quement, ils s'offrent partout une pub gratuite. Dérisoire, n'est-il pas ? Et ce n'est pas le leader wallon Van Kouwenberg, qui se fait appeler Jean-Claude de Montfroid, qui réussira à les évincer... Vous l'avez compris : Alain van Crug­ten mélange allègrement les événe­ments, il passe l'actualité à la mouli­nette et livre le résultat pimenté de tabasco et d'un zeste de citron à notre sagacité. Mieux vaut en rire : l'actualité nous offre un monde tellement ef­froyable, que la seule solution est de jeter un regard caustique sur ses tours et détours. De là à imaginer une fable qui mêle les héritiers d'Astérix aux démêlés de José Bové avec la justice et les ham­burgers, il n'y a qu'un tout petit pas, que l'écrivain franchit allègrement. Si vous aimez l'actualité et les rébus, vous aimerez Stef et autres fictions, vous y retrouverez les images de l'année, les jeux olympiques, les courses cyclistes, les vues de Venise, le métro moscovite et nombre de cartes postales vigoureuse­ment décapées. La politique-fiction de l'écrivain aura ses adeptes, l'écriture est facile, un peu caméléon, parodiant le traitement habituel du thème par les journalistes.

« Stef », la première nouvelle mise en exergue, visiblement, est à la fois la plus troublante et peut-être la moins vraisemblable. Le monologue de la jeune femme qui crache son délire au psy­chiatre dérive parfois dans des formules peu crédibles, une sorte de langage ado qui ne correspond pas aux autres élé­ments qu'on sait d'elle. Le troisième roman d'Alain van Crug­ten, Korsakoffz été couronné par le prix Rossel des jeunes en 2004. C'est visible­ment ces lecteurs-là que l'auteur cher­che à toucher ici.

Nicole Widart